XIII

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Lord Simon Hartfield, 21 Juin 3260, 22h38, Château de Greywall.

Depuis le début de la soirée Lady Hoover a réservé toutes ses danses pour lui, même si cela ne se fait pas. Elle semble si heureuse dans ses bras, elle en rougit, je vois bien que ce bonheur le fait sourire, on dirait presque qu'il est comblé. J'ai beau savoir qu'il ne l'aime pas, qu'il ne peut pas l'aimer, je ne peux empêcher une jalousie maladive de prendre possession de mon être. Je le vois se pencher à son oreille pour lui murmurer quelque chose, elle rit comme enivrée par ce bonheur léger. C'en est trop, je ne peux pas supporter ça !

Je quitte la pièce pour partir me promener dans les jardins.

Je déambule entre les haies sans vraiment savoir où je vais, et je finis par m'arrêter pour m'asseoir sur le rebord d'une fontaine. Je contemple le verre de vin que j'ai gardé dans les mains, je n'ai pas vraiment soif. Alors, par une fausse maladresse, je le lâche ; les morceaux de cristal se brisent en heurtant le sol et le liquide pourpre se répand sur les graviers, c'est beau mais c'est triste.

― Quel gâchis, dit alors une voix que je reconnaîtrais entre mille.

Je lève les yeux pour le regarder sous la lumière de la lune.

― Il n'était pas si bon que cela.

Il hausse les épaules et vient s'asseoir avec moi.

― Vous m'avez suivi ? demandé-je.

― Il faut croire que oui.

Je baisse de nouveau les yeux pour regarder la tache rouge du vin sur les graviers argentés.

― Vous n'avez pas dansé cette nuit, remarque-t-il. (A mon tour de hausser les épaules.) Pourtant, au bal du solstice d'hiver, vous sembliez beaucoup apprécier cela.

Il semble savoir tant de choses à mon propos, il trouve toujours les bons mots pour me faire parler.

― Je me suis lassé. Il faut croire que je n'ai pas encore trouvé la bonne partenaire.

― La bonne ?

Le silence qui s'installe quelques secondes semble être une éternité, si j'admets cela, je risque de me perdre à jamais. Pourtant, ce n'est pas comme s'il ne savait pas.

― Peut-être le bon, réponds-je en redressant la tête.

Alors il se relève et me tend sa main.

― Je crois entendre une valse, me permettez-vous d'être le bon le temps d'un instant ?

Grisé par je ne sais quoi, je pense que je vais accepter, je me cache derrière l'idée que je lui fais un cadeau d'anniversaire. J'inspire profondément avant de saisir sa main, il place la mienne sur son épaule et la sienne au creux de ses reins, je tressaille. Alors il se met à bouger et je suis aveuglément ses mouvements. Je prends peur, et pour ne pas fuir, je clos mes paupières. Je l'entends souffler en souriant, je rouvre les yeux pour contempler son visage illuminé de bonheur. Je laisse mon cœur danser sur cette musique enivrante qui semble n'être jouée que pour nous.

Lord Alexander

Nous continuons à danser durant un moment, je ne sais même pas si la musique s'est arrêtée, peu importe, nous l'imaginons. Seulement, toutes les bonnes choses ont une fin, cette danse comprise, notre rythme finit par ralentir jusqu'à ce que nous nous arrêtions. Je fixe ses yeux, deux émeraudes dans lesquelles se reflète la lumière des étoiles, je crois y voir des vagues se mouvant au milieu d'un océan.

― Alors, ai-je réussi à vous redonner goût à la danse ? soufflé-je.

― Je crois que oui.

Je n'ai pas lâché sa main et il n'a pas lâché la mienne, pourtant ce doute qu'il formule fait se serrer mon cœur.

― Vous croyez... ?

Il sourit et relève les yeux vers moi.

― Eh bien, depuis quelque temps, je crois que je ne sais plus ni qui je suis, ni ce que je veux...

Que dois-je comprendre ? Il lève sa main et la pose contre ma joue ; je me retiens de sursauter, jamais il n'a entrepris le moindre geste. Mais je crois qu'il n'ira pas plus loin, je le lis dans son regard désolé et ses yeux au bord des larmes. Je ferme mes paupières pour profiter de ces quelques secondes qu'il m'offre. Je sens son pouce descendre le long de ma mâchoire ; je rouvre les yeux, il me sourit tristement, une perle salée roule sur sa peau, je tends la main pour l'essuyer, mais il m'esquive. Je sais ce qu'il pense : si ça ne va pas plus loin, c'est toujours acceptable, je n'ai pas encore péché.

― Je suis désolé, dit-il une fois de plus.

Il se détache de moi et je le vois s'éloigner à grands pas pour disparaître dans la nuit.

Lord Simon

J'ai fui, une fois de plus. Je suis à chaque fois pris d'une peur panique que je ne m'explique pas. Le comprend-il ? Je ne serais pas capable de lui expliquer, je ne sais même pas si je serais capable de lui reparler. J'ai trop honte de moi, j'ai trop honte pour m'avouer que je suis irrésistiblement attiré par lui.

En passant devant la salle de bal, je croise Lady Hoover.

― Ah ! Lord Hartfield, je me demandais si vous n'aviez pas vu Lord Alexander, je le cherche partout depuis une demi-heure.

Je baisse les yeux, il ne faut pas qu'elle voit les larmes qui coulent le long de mes joues, un gentleman ne pleure pas devant une dame.

― Non, désolé.

― Est-ce que vous allez bien, vous ne m'avez pas l'air très en forme ?

― Je crois que je suis en train de faire une allergie.

Elle hoche la tête, elle n'est pas bête, elle sait que je mens.

― Si vous voyez mon fiancé, pourrez-vous lui dire que je le cherche ?

Elle n'attend pas que je réponde pour me tourner le dos, de toute façon, je suis incapable de prononcer le moindre mot ou de répondre par le moindre mouvement. Ses paroles viennent de s'inscrire en moi à jamais ; elle est sa fiancée, c'est elle qu'il va devoir aimer jusqu'à la fin de ses jours. D'ici moins d'une semaine, ils seront mari et femme.

Je redresse la tête, un domestique passe avec un plateau recouvert de coupes de champagnes, j'en pique une au passage et la bois d'une traite. A présent, j'ai soif, d'ailleurs je n'ai plus que ça, je ne veux plus rien, je veux juste boire, boire et ne plus penser à rien. Un autre valet passe et je bois une autre coupe.

Puis,je descends aux cuisines, dans l'agitation générale, personne ne me remarque.Je m'empare de plusieurs bouteilles, assez pour tenir un siège, et je vaism'enfermer dans mes appartements.

LordsWhere stories live. Discover now