VII

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Lord Simon Hartfield, 19 décembre 3260, 17h43, Hilton Park

Nous avons reçu hier une nouvelle invitation à prendre le thé à Hilton Park. Cela a beaucoup fait grogner Alexander qui a déploré devoir supporter la compagnie de la femme qui se pend à mon coup au lieu alors que nous pourrions profiter du temps qui nous reste avant l'arrivée de sa famille. J'ai eu beau lui répéter qu'il faut mieux ne pas se fier aux apparences, qu'elles ont sûrement été trompeuses, un tel mensonge n'est pas vraisemblable, il a continué à se plaindre jusqu'à ce que nous descendions de la voiture.

Maintenant que cela fait plus d'une heure que nous sommes à Hilton Park, puis-je seulement prétendre qu'il a eu tort ? C'est Miss Davis qui nous a reçus en personne. Elle a d'abord énuméré une liste de compliments déjà toute préparée pour qualifier la toilette d'Ana. Et alors que ses lèvres n'ont cessé de réciter son texte, ses yeux m'ont longuement adressé un regard faussement effarouché. Elle nous a ensuite conduits jusqu'au salon, nous avons alors découvert un Mr. Davis endormi sur le canapé. Et voilà maintenant une heure que la fille ne cesse de lancer un regard noir à son père pour lui faire payer sa maladresse.

- Mrs. Carlson et sa fille sont venues hier pour prendre le thé, Mrs. Carlson est vraiment une femme charmante, nous avons, semble-t-il, de nombreuses choses en commun. Dommage qu'elle se goinfre autant de sucreries. Je suis sûre que si elle n'était pas aussi grosse, elle serait encore parfaitement belle malgré son âge. Miss Carlson est vraiment tout son contraire, elle est bien trop maladive avec sa maigreur sans aucun charme et son teint blafard. Sans oublier que sa compagnie est des plus ennuyeuses, elle ne semble n'avoir rien d'intéressant à dire. Je me souviens seulement qu'elle a fait une remarque complexe sur composition florale présente dans l'entrée. O Lord Hartfield, comme je vous plein, Mrs. Carlson m'a confié qu'elle espérait bien que vous passiez la bague au doigt de sa fille. Et savez-vous la réaction qu'a eue l'intéressée à ce moment ?! s'indigne-t-elle en ne remarquant même pas qu'elle ne cesse de me faire soupirer.

- Vous allez me le dire, j'en suis sûr.

- Elle a ri discrètement ! s'exclame alors la jeune femme. Non, vraiment, Lord Hartfield, je vous pleins. Mais je sais que vous n'épouserez jamais une telle femme, elle n'est certainement pas faite pour vous.

- Miss Carlson est une bonne amie de ma sœur, et je me suis toujours bien entendu avec elle et sa famille. N'est-ce pas Ana ?

- Oui, Miss Bellatrix Carlson, est une jeune fille très respectable et d'une charmante compagnie, je ne comprends vraiment pas ce que vous lui reprochez.

Notre hôte se fige quelques secondes, désemparée, elle jette un nouveau regard meurtrier à son père, peut-être croit elle pouvoir lui faire porter la faute. L'homme ne remarque pas l'expression de sa fille, nonchalamment appuyé contre le dossier de son fauteuil, il semble sur le point de se rendormir.

- Oh, mais je suis sûre qu'elle essaye de vous duper pour obtenir vos faveurs. Ne vous laissez pas avoir mon cher Lord Hartfield.

Elle vient de dire cela avec le plus grand sérieux possible sans même se rendre compte que je me retiens d'éclater de rire.

- Nous vous remercions pour votre mise en garde, Miss Davis, intervint Ana en remarquant que je ne suis pas en mesure répondre.

Miss Davis dévisage ma sœur et la remercie presque en grognant.

- Merci, Miss Davis, ajouté-je pour me rattraper.

Son regard revient immédiatement vers moi et elle me sourit comme une nigaude.

- Mary, appelez-moi Mary, combien de fois devrai-je vous le répéter.

- Autant de fois que je dirais Miss Davis. Bien, je crois qu'il est temps pour nous de rentrer. Merci pour tout Miss Davis, dis-je en me levant.

Désemparée, elle m'imite, faisant se lever toute la pièce, même Mr. Davis qui se redresse trop vite et manque de tomber en arrière.

- Déjà, mais cela fait à peine plus d'une heure que nous profitons de votre compagnie.

- Je suis vraiment navré, mais la route jusqu'à Hartfield House est encore longue, nous ne voudrions pas faire attendre la cuisinière qui s'est sûrement donné du mal pour nous préparer un bon repas.

Elle grogne, mon excuse n'est évidemment pas à la hauteur.

- Bien, que diriez-vous de venir passer le Nouvel an ici, avec les Carlson et bien entendu votre femme Lord Sky ? Cela serait parfaitement charmant, n'est-ce pas ?

Alexander me jette un regard implorant, je suis sur le point de trouver une nouvelle excuse mais Miss Davis m'interrompt à nouveau.

- Oh, oui, cela sera merveilleux. J'ai déjà tout prévu. Comme j'ai hâte que cela arrive, comme je suis contente que cela vous enchante vous aussi.

Nous nous dévisageons tous, même son Mr. Davis nous jette un regard trahissant son incompréhension, c'est à croire qu'elle est tellement persuadée que je l'aime, qu'elle a imaginé ma réponse. Alexander lui lance un regard censé la fusiller sur place avant de prendre la porte sans qu'on ne l'y ait invité. Désemparée, Miss Davis nous regarde nous en aller, avant de réaliser que la politesse la force à nous raccompagner.

Nous récupérons nos vêtements devant notre hôtesse restée muette.

- Bien Miss Davis, ce fut un réel plaisir. Votre accueil fut parfaitement charmant, dis-je alors que nous sortons pour rejoindre la voiture.

- J'espère que nous nous verrons à l'office, en attendant, je vais prendre soin de préparer notre soirée.

- C'est cela à bientôt, ajoute Ana.

- Faites bonne route, s'alarme-t-elle alors qu'Alexander claque la portière avant que le valet ne le fasse.

Soudain, surpris par l'absence d'une voix ne cessant de parler nous soupirons tous de soulagement et conservons ce silence jusqu'à l'arrivée à Hartfield House.

Nous passons la porte d'entrée et nous installons directement dans la salle à manger où le souper nous attend déjà. Nous mangeons en appréciant un silence des plus religieux avant d'aller rejoindre nos chambres.

Alexander s'affale sur le lit, je reste debout et le contemple les points sur les hanches.

- Dois-je vous reprocher le manque de politesse dont vous avez fait preuve à Hilton Park ? Je ne vous avais jamais vu avoir un tel comportement, vous qui êtes habituellement si agréable et apprécié de tout le monde. Quelle mouche vous a piqué ?

- Et dire qu'il va falloir remettre ça, soupire-t-il comme si je n'avais rien dit.

- Alexander, sérieusement. Je sais que Miss Davis n'est franchement pas facile à supporter, mais vous avez dû connaître bien pire, en commençant par votre tante.

Il ferme les yeux.

- Par pitié, ne parlez pas de telles personnes ici, je ne saurais souffrir plus. J'entends encore sa voix ans ma tête dire : « Ne vous laissez pas avoir mon cher Lord Hartfield. », l'imite-t-il.

- Ne me dites pas que vous êtes jaloux ?

Il se redresse rapidement et me dévisage, mais mon regard insistant le fait rapidement se confier.

- Ce n'est pas vraiment de la jalousie, c'est plus du dégoût. Vous comprenez, je la vois se trainer à vos pieds et vous parler comme si vous étiez son amant alors même que je peux à peine vous adresser un regard en public. On croirait que vous lui appartenez déjà.

- Ce n'est qu'un mauvais moment à passer. Bientôt, elle partira, et elle abandonnera puisque je ne lui aurais donné aucun signe d'un quelconque intérêt. Allez, ne gâchez pas cette soirée pour une telle femme.

Je viens m'asseoir sur le bord du lit et viens lui prendre la main.

- Vous avez raison. Je ne sais pas ce qui m'a pris. J'ai vraiment été idiot.

- Mais non, à moi aussi il m'est arrivé d'être jaloux.

Il rit et vient poser son menton contre mon épaule.

- Il va falloir que vous me racontiez tout cela.

LordsWhere stories live. Discover now