VI

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Lord Simon Hartfield, 13 août 3260, 23h43, Hartfield House

Voilà une semaine que je passe à veiller sur Anastasie, qui s'est à présent mise à délirer. Chaque fois qu'elle ouvre ses yeux gris-verts, c'est pour hurler. Les mots qui sortent de sa bouche n'existent pas. Elle se met à se débattre dans tous les sens contre des ennemis invisibles. Ses longs cheveux châtains sont trempés de sueur. Plusieurs vaisseaux violacés se sont dessinés du côté droit de son coup jusqu'au haut de son sourcil, comme s'ils brisaient ce côté de ma sœur.

***

Après une nouvelle crise, Anastasie vient de se rendormir. Exténué, je me lève avec l'espoir de pouvoir m'endormir si tôt allongé sur mon lit, que je me presse de rejoindre. Seulement, lorsque je rentre dans ma chambre je trouve sur le bureau une lettre.

Mon cher Simon,

Je ne prendrai pas le temps de vous remercier pour les compliments que vous avez offert à ma femme ; je préfère cette fois oublier les convenances pour être honnête avec vous.

L'absence que vous m'imposez m'est insupportable, et le fait même de vous imaginer me donne l'impression d'un coup de poignard dans le cœur. Effectivement, je sais que lorsque vous reviendrez, aussi tard soit-il, plus rien ne sera plus comme avant, nous ne revivrons pas le court moment de bonheur que nous avons connu. Je sais que même si Rose ne s'oppose pas à cette relation, vous ne voudrez pas continuer à risquer votre vie et votre âme pour quelque chose qui ne devrait pas exister.

Si après cette lettre vous choisissez de stopper cette correspondance, je ne pourrais m'y opposer, seulement, laissez-moi vous écrire ces derniers mots, car avant de prendre une décision, on se doit de connaître toutes les informations la concernant.

Chaque fois que je pense à vous, c'est-à-dire presque en permanence, je revois vos yeux, leur étrange et magnifique couleur émeraude, leur regard mystérieux, intelligent, mais surtout ravageur. Ils ont été la vague qui m'a emporté dans une tempête qui porte votre nom. Et, pendant un court instant je me suis rattaché à un radeau, vos lèvres et les miennes, votre peau contre la mienne, ma main sur votre poitrine, sentant votre cœur battre au même rythme que le mien. Mais une nouvelle vague m'a emporté et a fait couler le radeau, il n'en reste plus qu'une planche à laquelle je me raccroche, vos lettres. Alors, je vous en prie, ne me laissez pas m'accrocher à cette planche si elle est condamnée à sombrer, je préfère me noyer plutôt qu'attendre un sauvetage qui n'arrivera pas.

Je sais que ces mots sont confus, mais ils sont les seuls qui puissent expliquer ce que je ressens.

J'attendrai votre réponse aussi longtemps qu'il le faudra.

Alexander

***

Lord Alexander Sky, 21 août 3260, 14h13, Château de Greywall

Très cher Alexander,

Jamais je ne vous laisserai vous noyer, il m'est impossible d'être responsable de votre malheur. Peut-être aurions-nous mieux fait de ne jamais nous rencontrer, mais il est déjà trop tard, car je vous le redis, et je le redirai autant de fois qu'il le faudra, j'ai cédé à la plus belle des tentations. A présent, lorsque j'y repense calmement je me demande comment j'ai pu me refuser à vous si longtemps, vous sans qui je ne suis plus rien. Que sont mes frayeurs d'autrefois face à vous ? Que sont les dieux face à l'exaltation d'être avec vous, de vous serrer dans mes bras, de vous embrasser ?

Comment ai-je pu croire que cela était mauvais ? Je n'étais rien avant que vous ne m'accordiez vos sentiments. Croyez-moi, mon plus grand désir est d'enfin pouvoir vous revoir.

Je veux que vous soyiez à mes côtés. Je veux de nouveau me perdre dans l'immensité saphir de vos yeux, égarer ma main dans vos cheveux, faire brûler ma peau au contact de la vôtre. Je veux entendre vôtre voix me parler pendant des heures et je veux jouer pour vous faire sourire. Je veux sentir mon cœur s'emballer, ma peau frissonner. Je veux vous embrasser et je veux que vous me désiriez.

Alors, c'est moi qui vous implore, lorsque je reviendrai ne laissez pas ces désirs sans réponse, car les imaginer ne sera bientôt plus suffisant.

Affectueusement

Simon

Je viens de sentir mon cœur se retourner, mon estomac se nouer, des frissons parcourir l'entièreté de mon corps, et je me demande si Lord Simon a lui aussi ressenti tout cela en m'écrivant.

Je lève les yeux sur Rose assise en face de moi, occupée à lire le journal. Sentant mon regard sur elle, elle pose son tas de papier pour s'intéresser à moi.

- Vous avez besoin de parler de ceci ? demande-t-elle en désignant des yeux la lettre.

- Je ne pense pas. Ce ne serait pas très convenable.

Elle lève un sourcil en souriant malicieusement.

- Dois-je en déduire que la situation est bonne ? Ne dites rien, votre sourire parle pour vous, cette relation ne va pas se terminer aujourd'hui.

- Par tous les dieux, Rose, vous êtes la plus étrange des épouses qu'un homme puisse avoir !

- Ne jurez pas, c'est vous qui me l'avez appris. De surcroit, je ne suis pas sûr que vous me fassiez là un compliment.

- Pour moi c'en est un.

- Vous semblez trouver étrange que je veuille votre bonheur.

- Et bien, il va de soi qu'un mari veuille le bonheur de sa femme et inversement, mais il est tout-de-même plutôt rare qu'une femme encourage son mari à entretenir une liaison.

- Cette liaison est particulière.

Je hausse les épaules.

- Si vous le dites.

Elle reprend son journal et se remet à lire.

- Et bien, qu'attendez-vous pour répondre à cette lettre ?! s'exclame-t-elle, surprise que je ne sois pas déjà en train de noircir d'encre une feuille immaculée.

- Sans vous mentir, après ce que je viens de lire, j'ai l'impression que mes mots sont bien trop pauvres.

- Remerciez-le pour le soulagement que vous apporte son courrier. Demandez-lui des nouvelles de sa sœur. Parlez de la pluie et du beau temps. Redites-lui qu'il vous manque. Ecrivez ce qui vous chante, mais ne laissez pas cette lettre sans réponse. Que les mots soient faibles ou non, ils le marqueront car ils seront les vôtres.

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