IV

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Lord Alexander Sky, 26 juillet 3264, 9h58, Cour de justice d'Hastrye

Le voyage du commissariat au tribunal a été rapide, il a plu tout du long, je n'ai même pas pu entrevoir un rayon de soleil. Ils m'ont fait entrer par l'arrière du bâtiment pour éviter la foule, mine de rien le jugement du comte de Swanfield attire du monde. Je voudrais croire que je n'ai pas peur à l'idée de devoir affronter tous ces regards, surtout ceux que je connais, mais c'est faux. Honnêtement, je me demande à quel point ils ont dû se voiler la face pour ne rien voir, je n'ai pas toujours su être très discret ; à croire que certains savent vraiment garder des secrets puisqu'aucune rumeur n'a jamais couru. Aujourd'hui, bien sûr, ils n'hésiteront pas à dire qu'ils m'ont toujours trouvé un peu bizarre, voire même fantasque, alors qu'il y a un mois, ils se vantaient d'être de mes amis et de participer aux si merveilleuses soirées d'Arclif.

Je patiente dans le couloir avant d'avoir discuté un peu avec mon avocat ; étrangement maître Olsen qui s'occupait déjà des affaires de mon oncle n'a mystérieusement pas pu s'occuper de cette affaire, alors ils m'ont relégué le dernier des abrutis du barreau, à croire qu'il sait à peine compter sur ses doigts.

Je me suis assis sur un banc, contre le mur. De l'autre côté, j'entends la salle d'audience, les discussions, les éternuements, les pas, les accords et désaccords. Le vacarme se calme petit à petit et l'on entend un retardataire qui vient s'asseoir. Ses pas sont un peu plus rapides, un peu moins assurés, mais pourtant plus rebondissants que ceux des autres. On imagine un être se déplaçant gracieusement aux milieux des rangs pour venir s'asseoir, dans un coin, contre le mur, exactement contre moi.

Ces pas, je les reconnaîtrais entre mille, ils ont toujours ce rythme parfait qui ralentit lorsque son cœur se sert, ou qui s'accélère lorsque son cœur cri ou chante. Ils sont une sorte de danse gracieuse dont la musique ne m'est que trop familière.

Je colle mon oreille contre la fine cloison de bois. Je ne saurais dire si je rêve ou si je perçois réellement sa respiration qui, il y a moins d'un mois effleurait encore mes lèvres ; elle est saccadée, bousculée par des tentatives pour se combattre l'essoufflement émotionnel et pour contenir les tressautements de panique.

Si près, il me paraît si loin, comme resté dans un paradis perdu, où l'on danse jusqu'à l'épuisement et l'on fredonne des chansons amoureuses.

Si près, il ne m'a jamais manqué autant. Je sais que lorsque j'entrerai dans la salle, je ne verrai que lui, je n'entendrai que sa respiration et ne sentirai rien d'autre que mon cœur qu'on m'arrachera en m'empêchant de me jeter dans ses bras. Puis il faudra se ressaisir, regarder Rose et les quelques regards amicaux qui me seront restés, s'il y en a ; il faudra faire croire que ce n'était pas lui, comme si tout le monde ne savait pas déjà, les murmures avaient rapidement dû devenir vacarme.

Tout cela n'a duré qu'une trentaine de secondes, une pause dans le temps, comme un ultime repos avant la sentence. Le policier me prend par le bras pour me conduire jusqu'à la porte. Que croit-il, que je vais m'emparer de la première arme que je trouverai pour tuer quelqu'un avant d'essayer de m'enfuir ? Je ne suis pas là parce qu'on m'accuse de meurtre, je ne suis pas un criminel à enchaîner.

J'entre et, étonnamment, tout le monde se tait. Ils me regardent, intrigués, se demandent comment quelqu'un comme moi, qui avait tout, peut se retrouver ici. Ils n'ont qu'à le demander à leur souverain adoré.

Le juge m'adresse un regard sévère et je sais à cet instant, que, de toute évidence, il connaît déjà l'issue de ce procès. Il s'adresse à moi, énonce les chefs d'accusation, et avec un peu d'espoir, j'ose plaider non-coupable.

J'essaye de ne pas regarder Simon, de ne pas nous trahir, mais mes yeux reviennent sans cesse à lui.

20h56, une prison quelque part dans la capitale

LordsWhere stories live. Discover now