Lords

I

Lord Alexander Sky, 10 Janvier 3261, 10h10, Arclif

Le voyage a été sans encombre, j'ai enfin pu voir à quel point Violet était incontrôlable sur un bateau, elle s'était trouvé une nouvelle vocation, marin. Nous avons vu la gouvernante courir d'un bout à l'autre du bateau pour suivre la petite blonde qui a entraîné son frère dans toutes ses aventures. Cela a eu le don de faire rire Simon et d'exaspérer Rose.

***

Alors que nous descendons de la voiture, Simon reste en retrait, il ne semble pas à l'aise devant ce bâtiment vers lequel les enfants se précipitent. Il attend que tout le monde ait disparu à l'intérieur pour s'avancer vers moi.

- Je vous vois préoccupé, dites-moi ce qui vous tracasse.

- Vous ne me croirez pas si je vous dis que tout va bien, répond-il sans même me regarder.

- Simon, vous êtes aussi pâle qu'un linge.

Ma main se glisse dans la sienne, c'est à peine s'il réagit.

- Je peux encore m'en aller si vous ne voulez pas de moi ici.

- Ne soyez pas ridicule, c'est moi qui vous ai proposé de venir vivre à Arclif. Je vous ai fait cette proposition parce que je veux être plus proche de vous chaque jour qui passe. Je sais que cela paraîtra étrange de vivre avec la famille, mais voyez, les enfants vous ont déjà accepté. Maintenant, si vous vous sentez vraiment mal à l'aise, je comprends, je vous laisse partir où bon vous semblera. Ou peut-être, pourrions-nous vous trouver un logement à Swanfield pour rester proches.

Il se tourne enfin vers moi pour hocher la tête.

- Je vais essayer.

Sur-ce, je prends sa main et le conduis jusqu'à la maison.

Nous entrons et je lui laisse un instant pour évaluer les lieux. Son œil se pose partout où il le peut, sur l'escalier, sur la pierre blanche, le marbre, le lustre, les tableaux, les sculptures, moulures, fenêtres et rideaux.

Il se tourne soudain vers moi et me dévisage.

- C'est presque aussi richement décoré que Greywall.

- Des générations d'accumulation d'objets de valeur, réponds-je en haussant les épaules.

- Et cette lumière, j'aurais été incapable de l'imaginer, cela surpasse tout ce que vous auriez pu décrire.

Il a au bord des lèvres ce sourire enfantin qui provoque chez moi un sourire ému.

- Continuons, dis-je en l'invitant à emprunter l'escalier.

Alors que nous arrivons dans un salon orné, notamment par un piano à queue, je l'interpelle sur un point :

- Je suis déjà persuadé que vous allez passer la majorité de votre temps ici.

Il a déjà atteint l'instrument, il me jette un regard en arrière comme pour demander la permission, que je lui donne d'un mouvement de tête.

- Si je ne suis pas avec vous la plupart du temps, rétorque-t-il en s'asseyant.

- Vous ne me supporteriez plus. Mais pourquoi pas avec moi et ici ?

Alors qu'il se met à jouer, il répond :

- Parce qu'il vous faudra bien travailler.

- Je maudis le travail, je veux passer chaque instant de ma vie à vous écouter jouer !

Comme si mes dernières paroles avaient été une provocation, il s'arrête.

- Pourrai-je vous voler un peu de ce précieux temps pour vous embrasser ? demande-t-il en revenant vers moi.

- Cette proposition n'est pas plus mal, réponds-je avant de lui dérober un baiser.

Nous continuons notre visite jusqu'à une chambre.

- Par soucis de convenance je l'ai fait préparer pour vous, vous pouvez y installer vos affaires et pourquoi pas, un petit bureau, si l'envie vous en prend. Cela sera également préférable, si nous recevons des invités. Et puis, je sais que vous aimez parfois vous isoler pour réfléchir.

- Comment se fait-il que vous me connaissiez si bien ?

- Je sais être attentif, réponds-je innocemment. Ma chambre est juste ici, reprends-je en désignant la porte en face de la sienne.

- Merci pour tout.

- De rien. Je vous laisse vous installer, si vous me cherchez, je serai sûrement dans le bureau à m'occuper de tout ce dont je ne me suis pas occupé durant ce voyage.

Il hoche la tête avant de se détourner pour passer la porte de sa nouvelle chambre.

Lord Simon Hartfield, 10 Janvier 3261, 16h, Arclif

Durant l'après-midi, j'ai continué à arpenter la demeure pour en découvrir les moindres détails, j'ai fini par m'arrêter dans le salon de musique pour assister au cours de piano de Violet.

Le professeur s'en va, mais la petite continue à s'acharner sur les touches, elle est du genre à ne pas abandonner avant d'avoir atteint la perfection. Alors qu'elle effectue un ultime échec, je m'approche d'elle et pose mes doigts sur les touches.

- Essayez, en positionnant vos doigts comme cela, lui indiqué-je.

Elle suit aussitôt mon indication et les notes correctes suivent immédiatement.

- Merci, dit-elle avant de continuer à jouer la suite du morceau.

- De rien.

Je retourne m'asseoir sur le sofa.

- Attendez, (Je tourne vers elle.) restez, je crois que vous allez pouvoir m'aider.

Alors elle continue à jouer et par moments, je me penche vers les touches pour la corriger. A chaque fois, je l'entends grogner presque silencieusement, elle n'aime pas se tromper, ça la fait se sentit faible et elle déteste cela plus encore. J'ai bien peur qu'elle finisse rapidement par me haïr.

Lord Alexander Sky, 20h32

Le repas touche à sa fin lorsque Violet qui s'est tue tout du long pour observer minutieusement chaque mouvement, chaque réaction et pour écouter avec attention chaque parole pour, semble-t-il, les analyser, prend la parole.

- Papa, maman, serait-il possible que Lord Simon devienne mon nouveau professeur de piano ?

- Mais tu as déjà un professeur, répond Rose.

- Je ne l'aime pas.

Son sérieux me fait presque rire.

- Violet, tu ne peux pas détester tous tes professeurs, lui dis-je. Et puis, Simon a sûrement d'autres choses à faire.

Elle relève les yeux, on ne peut plus sûre d'elle, repose sa fourchette et pose doucement ses points sur la table.

- Lord Simon, est le professeur le plus doué qu'il puisse exister. Il m'a aidé cet après-midi et j'ai progressé bien plus vite.

Je pose mes yeux sur Simon, il semble amusé de la situation.

- Qu'en pensez-vous ?

- Une petite heure par jour ne devrait pas me déranger plus que cela.

- Merci, répond Violet en affichant un petit sourire satisfait.