X

252 32 2
                                    


Lord Simon Hartfield, 21 décembre 3259, 22h01, Château de Greywall

Après l'office religieux, toute la cour s'est rassemblée pour dîner en compagnie du roi, qui, à la suite du repas, a ouvert le bal par une valse avec la reine. J'ai dansé plus de fois qu'il n'aurait convenu, avec une jolie demoiselle, Lady Maude North. J'adore danser, mais ma cavalière a fini par se lasser et craindre les rumeurs qui pourraient se propager si nous dansions trop longtemps ensemble. Elle m'a remercié puis a décidé de quitter la soirée. A présent, je n'ai plus vraiment envie de danser, le champagne m'a fait tourner la tête et une étrange sensation de vide s'est propagée dans mon être.

Je jette un coup d'œil en arrière, Lord Sky semble faire semblant d'écouter ce que lui dit Lady Hoover ; il remarque que je l'observe et me sourit, je détourne le regard et quitte la pièce. Je fais cela, car je sais qu'il va me suivre. Je traverse un couloir à grand pas avant de sortir sur un balcon. Je m'accoude au garde-corps en pierre et guette le bruit de ses pas qui finit par se faire entendre ; il a délaissé Lady Hoover pour me suivre, cette idée me fait sourire.

― Il fait froid pour sortir ainsi, dit-il toujours dans mon dos.

Rien que le fait de le savoir là, d'entendre sa voix charmeuse qui me parle, me fait frissonner, c'est une forme d'adrénaline, de tension qui se manifeste à chaque fois que je suis en sa présence ; une voix qui me dit : Oseras-tu ?

― Je voulais profiter un peu de la nuit la plus longue de l'année, les dieux nous l'offrent, nous ne devrions pas la gâcher en restant enfermés.

― Vous venez de remettre en question un pan entier ma vie, dit-il en arrivant à ma hauteur pour lui aussi s'accouder.

Je me force à ne pas poser mes yeux sur lui, je ne pourrais les détacher de cette divine contemplation.

― Je suis heureux de l'avoir fait avant qu'il ne soit trop tard.

― Merci... souffle-t-il en laissant échapper un peu d'air chaud qui se dissipe rapidement dans l'obscurité de la nuit.

Le silence s'installe tandis que nous fixons la nuit noire et sans étoile du ciel d'hiver.

― Il va neiger cette nuit, finis-je par dire en regardant les nuages qui voilent la lune.

― Vous croyez ?

― S'il ne neige pas, il pleuvra.

― Je vais vous faire confiance.

Sa voix est si calme et envoûtante, c'est à croire qu'il fait exprès de parler ainsi pour me faire enfreindre les règles que je me suis fixé ; et c'est ce que je fais, j'abandonne et tourne ma tête vers lui en haussant les sourcils.

― J'espère bien.

Lui aussi se tourne vers moi, un sourire à la commissure des lèvres.

― Vous êtes surprenant Lord Hartfield.

― Dites-moi pourquoi.

― Vous êtes paradoxal, vous semblez parfois si timide et parfois si sûr de vous. On peut dire que d'un certain sens, vous me fascinez.

Je baisse les yeux en rougissant. Se rend-il compte que ses mots frisent dangereusement avec la limite de la convenance ?

― Il faut croire que je n'ai pas encore choisi la personne que je veux être.

― Je ne pense pas qu'un choix soit la bonne solution, choisir c'est se condamner, renoncer à certaines choses que l'on n'a pas vraiment envie de quitter.

― Le choix est une chose à laquelle on ne peut échapper, on peut seulement la repousser.

Il plante son regard dans le mien, lorsqu'il fait cela, j'ai l'impression qu'il devient quelqu'un d'autre, comme s'il était perdu, cela me déroute.

― Alors je le repousserai tant que je le pourrai, murmure-t-il.

Je hausse les épaules et retourne à ma contemplation de l'obscurité. Soudain, je sens une main se poser sur la mienne, elle est froide, gelée, pourtant dans mon corps une chaleur indescriptible se propage. Je ne sais pas quoi faire. J'ai envie d'éterniser ce contact mais j'ai peur, j'ai peur de ce que cela signifie, du danger qu'il fait planer au-dessus de nos têtes.

― Je... Vous ne devriez pas faire ça.

― Faire quoi ?

― Votre main, nos mains.

― Écoutez, quoi qu'il se passe, nos mains sont toujours restées dans nos poches.

J'esquisse un demi-sourire. Il est si confiant et j'ai envie de l'être moi aussi, alors je ne bouge pas. Mes yeux continuent à fixer la nuit et ma main reste sous la sienne, après tout ce n'est rien de plus qu'un contact entre deux mains, cela pourrait très bien être fraternel.

Lord Alexander Sky, 22h54

― Vous aviez raison, dis-je en souriant.

― Pardon ? demande-t-il surpris après un si long silence.

Je lâche sa main que je rêve pourtant d'embrasser, et lève la mienne pour attraper le minuscule morceau de coton froid qui tombe du ciel.

― Il neige.

Il ne dit rien, semble perdu. Son regard dérive de ma main à la sienne, ses grands yeux émeraude s'emplissent de panique.

― Je... Merci, lâche-t-il avant de s'enfuir à grands pas.

Je me pince les lèvres et lève une dernière fois les yeux vers les flocons. Je baisse le regard et rentre vaincu, les mains dans les poches.

Je retourne dans la salle de bal. Mes yeux tombent sur Lady Rose qui vient à ma rencontre.

― Je me retire, je voulais simplement vous en informer.

― Voulez-vous que je vous accompagne ?

― Non merci, cela ira.

― Très bien, je vous souhaite une bonne nuit, alors.

― Merci, à vous aussi.

Elle me laisse, je la regarde s'éloigner puis contemple la salle, elle est emplie de monde mais me semble vide d'intérêt.


LordsWhere stories live. Discover now