5 - « Entre doutes et nouvelles croustillantes »

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SUREN


Confortablement allongé dans son bain, le prince hésitait. Les yeux clos, le visage tourné vers les plafonds peints de fresques en l'honneur de la déesse Imshe, il tentait d'organiser ses pensées. L'étranger prétendait être un envoyé de la renarde du soleil et de la vie, appuyant ses divagations de sa nature étrange.

Un humain?

Personne n'en avait vu depuis tant de siècles qu'ils étaient devenus un mythe, au même titre qu'une simple croyance ou légende de tribus. Il restait par ailleurs étrange que cet inconnu se clamait messager d'Imshe et humain... alors que les livres prétendaient les Hommes affiliés à Limpis et ses ténèbres. Part d'ombre qui manquait cruellement à ce monde privé de nuit depuis la disparition des humains.

À condition que les légendes soient véridiques... pensa le prince en proie au doute. Personne n'a encore prouvé le lien entre les humains et les ténèbres.

Suren était forcé d'admettre que cet inconnu ne correspondait à aucune race connue... et son arrivée en trombe dans les jardins du palais restait un mystère. Les magiciens de la cour étaient incapables d'identifier la nature de son sort de téléportation.

Comme s'il n'était pas de ce monde...

Il respira profondément, tandis que derrière le paravent, une domestique finissait de préparer son lit. Aux cliquetis de griffes sur une pierre, il comprit qu'elle embaumait ses draps des douces senteurs de fleurs... encore.

Quand mère va-t-elle enfin arrêter de leur ordonner de parfumer mes appartements à tout va?

Il s'en posait la question, bien qu'il connût la réponse. Elle le rendrait en tout point irrésistible tant qu'il ne choisirait pas de compagne. À vingt-deux ans, il aurait déjà dû partager sa couche depuis six ans. Dans un sens, ses parents se montraient relativement patients. Mais Suren était las et désintéressé de toutes ces itakies, aussi belles étaient telles, qui ne connaissaient que les mondanités. Elles pestiféreraient pour une tache de boue sur leurs chaussures, plutôt de se soucier du malheureux qui balayaient à toutes heures les rues. Certaines le feraient même fouetter pour n'avoir accompli son travail... Comme s'il était possible d'effacer toute saleté sur une avenue pavée.

Et de toute façon, sans ce vil égoïsme, leurs atours féminins ne l'intéressaient pas. Son bord était différent des attentes de la cour.

— Ne nous perdons pas ! souffla Suren qui rouvrit les yeux et redressa le cou.

Je dois me décider sur les aveux de l'inconnu.

— Avez-vous besoin de moi, prince Suren ? s'enquit la domestique qui ne l'aidait guère à recentrer ses pensées.

— Vous pouvez disposer ! clama-t-il à travers le paravent.

Il l'entendit quitter ses appartements, tandis que son regard doré restait fixé sur le bois et sa renarde peinte, qui cachaient son bain du reste de la chambre. Imshe était une entité que son peuple décrivait comme bonne vivante et aimante, tandis que son frère Limpis, affilié aux humains, était plus froid et mortel...

À la condition que les Hommes aient réellement existé.

La sœur, du dieu d'un peuple possiblement imaginaire, pouvait-elle se soucier de ces êtres de par sa grande bonté ?

Suren avait la sensation de devenir fou.

Exaspéré, il bondit hors de son bain et se sécha nerveusement les cheveux. Il observa un instant son reflet, plutôt satisfait de son corps sculpté, bien qu'il ait apprécié d'être un peu plus grand. Mais plus que sa taille, sa chevelure claire, qui le pointait tel un héritier de la famille régnante depuis trois générations, l'exaspérait. Même s'il quittait le palais, il ne pourrait pas vivre une aventure authentique. Tout le monde le reconnaîtrait, ou se questionnerait de son lien de sang avec la royauté. Une pierre magique en collier réglerait le problème en remplaçant cet argent par le roux ou le fauve plus classique des itakis, mais à quoi bon partir à l'aventure seul et sans but ?

Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now