Ténèbres d'Imshe

38 - « Retrouvailles »

SUREN

L'espace de quelques heures, Suren avait espéré que sa vengeance à l'encontre du second soleil lui aurait apporté la paix.

Mais il n'en était rien.

Les cauchemars de ce temple maudit entrecoupaient à nouveau sa nuit, le contraignant à quitter leur abri de fortune. Faute de pouvoir user à nouveau de la racine-mère qui les avait transportés à Lashinn, celle du port restant un point de sortie qu'importât leur souhait, ils avaient cheminé vers l'Ouest. Après le lever mortel de la nouvelle journée, ils comptaient se mêler aux caravanes qui traversaient l'un des quatre ponts qui menaient à l'île de Quavent.

En plus de ses cauchemars, l'idée laissait Suren inquiet. La frontière de la haute ville était farouchement gardée. Personne n'entrait sans un document complet détaillant identité, raison du passage et chargement importé.

Ils ne passeraient pas !

À moins de dévoiler son rang princier...

Était-ce là l'idée d'Isela ? Suren n'y croyait guère, mais il n'entrevoyait pas d'autres possibilités.

— Une autre nuit agitée ? s'enquit soudain une voix non loin.

Le prince sursauta, ses prunelles dorées se relevant brusquement vers le visage d'Owen. Penché en avant, il semblait s'excuser pour cette frayeur involontaire d'un sourire maladroit.

— Passer par le pont me travaille, mentit Suren dans un soupir.

— Tu es sûr qu'il ne s'agit que de ça ? insista l'humain qui s'assit à ses côtés dans l'herbe rase.

Une main allègrement ouverte caressant les brins secs, il gardait néanmoins son regard rivé sur l'itaki.

— À quoi pensez-vous d'autre ?

Dans un soupir, Owen pivota le visage vers l'horizon et ramena ses bras autour de ses jambes repliées.

— Tu ne veux pas en parler, c'est ça ? Sauf à Isela.

Suren plissa les yeux, perplexe de ce qu'il devait comprendre. Owen était-il jaloux ? Pour quelle raison ?

— Je vous ai vu, Isela et toi, la nuit avant d'arriver à Champri, confia l'humain. Enfin, si on peut parler de nuit avec cette foutue lumière.

Le prince sentit le feu lui colorer les joues. Owen était bel et bien jaloux !

Il n'en revenait pas.

Comment devait-il réagir ? Se réjouir ? Ne rien en montrer avant d'être sûr ?

Il hésitait.

— Je sais que depuis le temple de Lashinn, tu fais des cauchemars, continua Owen. Tu devrais en parler. Ça t'aidera à passer le cap. Je sais que je ne devrais pas te forcer la main, mais je m'inquiète que tu te tournes vers Isela. C'est une fille bien, mais elle reste une insurgée qui ne peut pas voir ta famille même en peinture.

Owen n'était pas jaloux.

Une tempête plus glaciale qu'un blizzard étouffa son faux espoir. Le magicien s'inquiétait simplement que la demoiselle ne fût pas la meilleure oreille pour apaiser ses tourments. Contrairement à lui, l'humain ne s'intéressait pas aux mâles. Il devait arrêter d'espérer un semblant d'aventure hors du palais. Il restait un poisseux trop peureux pour assumer ses sentiments. Un sourire contrit aux lèvres, il tenta de dissimuler son amertume.

— Je m'attendais à de la colère, pas de la... déception ? hésita Owen qui le fixait sans ciller.

— Ne dis pas n'importe quoi ! souffla l'itaki. Je... je pensais que j'avais été discret. Pas que vous vous étiez tous rendu compte que je... que j'étais un froussard traumatisé au premier problème.