34 - « Chant d'attaque »

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OWEN

Cliste ne semblait pas être un mauvais bougre. Pendant que Sen tentait d'apprivoiser la colère sourde d'Isela, le faune me livrait ses connaissances sans la moindre hésitation. Il avait tout du barde qui vantait ses aventures, même celles pour lesquelles il n'avait encore d'inspiration pour une ballade épique, ou une tragique romance. Je sentais qu'il n'en restait pas moins un malin qui ne dévoilait pas toutes ses cartes.

Mais qui n'avait pas un jardin secret ?

D'autant plus envers des inconnus dont l'un d'eux démontrait sans honte son racisme honteux. J'espérais que le prince saurait me donner par la suite les raisons d'une telle étroitesse d'esprit de la part d'une combattante pour les droits du peuple.

Peut-être ne pense-t-elle qu'aux itakis en parlant de peuple? m'inquiétai-je.

Mais j'en doutais. Waba comptait certes beaucoup d'itakis, mais j'avais aussi aperçu des êtres pourvus d'attraits divers, de faune, de tanblan ou d'autres races dont j'ignorais encore les noms.

— Nous sommes arrivés.

La voix chantonnante de Cliste m'extirpa de mes pensées. Les mains sur les hanches, un sourire malin aux lèvres, il se dressait devant un portillon et sa clôture qui encerclaient deux larges pieds d'amanite. Un édifice mêlant bois et paroi fongique les liait sur trois étages que je distinguai grâce à leurs terrasses et vitraux colorés. La vue était ahurissante, mais je grimaçai dès lors que mes yeux se posèrent sur la pancarte de bois qui ornait le seuil d'entrée.

— Le champignon magique ? lis-je avant de glisser un regard perplexe au faune.

— Vous deviez nous guider vers la cachette de la prêtresse, pas de votre auberge fétiche, siffla Isela tout aussi contrariée de se retrouver là.

— Et si vous continuez de grogner si fort, ce ne sera en effet plus longtemps la cachette de celle que vous traquez, se défendit Cliste.

Un silence pesant accueillit ses mots. Je doutai, Suren aussi, tandis que notre compagne rousse serrait les dents.

— Elle crèche à l'auberge ? lâchai-je bêtement, à court d'idée avant qu'Isela n'explosât.

— Difficile d'aller ailleurs pour une voyageuse sans port d'attache ou de temple pour l'accueillir. Vous avez cru que je vous invitais à rejoindre cette auberge parce que je suis un barde ?

— On pourrait dire ça... oui.

Cliste ébaucha une lippe digne des plus grands artistes, dont je préférai détourner les yeux avant de pouffer tel un benêt. À mes côtés, le prince se racla la gorge pour chasser son malaise. Seule Isela restait elle-même, ses iris clairs en proie à une tempête sauvage.

— Si nous entrons par la grande porte, la prêtresse nous repérera sur le champ, grogna-t-elle. Ce qui aurait été le cas si nous vous avions fait confiance au marché et que nous avions répondu à votre invitation !

Un index menaçant tendu devant son visage, elle se tourna vers Sen.

— Tu vois que c'est un manipulateur ! ajouta-t-elle. Il nous avait tendu un piège pour se venger de notre désintérêt à sa requête.

— Vous avez plus qu'une dent contre moi, siffla Cliste.

Isela fronça le nez et le défia d'un regard plus sombre que la nuit dont elle ne connaissait pas la noirceur.

— Votre prêtresse fait profil bas depuis son arrivée. Elle a payé pour la clef de sa chambre et y reste enfermée. Marianna, la douce Marianna, lui monte ses repas.

Ténèbres d'ImsheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant