42 - « Chemins croisés »

28 11 32
                                    


CLISTE


S'il existait bien une chose que Cliste détestait, c'était de tremper dans de sombres affaires dont il n'avait jamais prédit un brin d'existence. Une épaule appuyée contre l'encadrement de bois sculpté qui délimitait l'entrée du bureau royal, il zyeutait le prince qui conversait avec son père. Il espérait le surveiller, le temps qu'il ressortît pour échanger quelques mots, mais la situation tournait au vinaigre.

Bien qu'aucun garde ne l'eût surpris durant son méfait, il blêmit de stupeur. Il découvrait la condition du roi avec tout autant d'horreur que le prince. Elle lui tira un sourire sans joie tant cette vérité dépassait l'entendement.

Il n'y a aucun roi aux commandes du royaume.

Mais alors, qui tirait les ficelles ? La reine ? Était-elle coupable de l'état de son époux ? Si oui, depuis quand ? Et si elle n'était point informée, alors qui se jouait de tous en utilisant le roi comme un pantin ? Où était donc le maître de cette marionnette alors qu'elle avait échangé quelques mots avec le prince ?

— Comment pouvez-vous... encore... converser ? s'enquit le prince dans des marmonnements désordonnés.

Mais le vieil itaki resta de marbre. Bien que son masque fût d'une porcelaine sans vie, il semblait dorénavant plus mort maintenant qu'il gisait à ses pieds. Le prince insista, tenta de remuer les épaules de son père dans l'espoir d'une réaction, mais rien n'y fit.

Le roi n'était plus depuis... probablement depuis fort longtemps.

Que faire ?

Le prince ne dit mot, mais Cliste devinait à sa gestuelle qu'il s'en posait la question. Et le problème était épineux. Il ne pouvait taire la mort de son père maintenant qu'il la connaissait, mais à qui pouvait-il la révéler sans danger ? Le prince restait loin d'être un idiot et se questionnait sûrement de l'implication de la reine dans cette affaire. Si elle avait participé à cacher la mort de son époux, elle ne verrait probablement pas d'un bon œil que son fils réclame le trône.

Trouve un autre masque et colle-le-lui sur le visage, pensa Cliste.

Le mieux restait à ses yeux de continuer à jouer les ignorants le temps d'enquêter. De connaître ses ennemis et dénicher peut-être des alliés.

Mais le destin se montrait rarement favorable en ces instants. Et la malchance pointa le bout de son nez dans la robe pimpante et scintillante de la haute conseillère.

Cliste se glissa dans les ombres et elle le dépassa sans rien remarquer. Dans un claquement de cape en soie, la conseillère pénétra dans le bureau du roi. Le faune entendit des éclats de voix. Non pas de colère, mais de stupeur. Il perçut des échanges, trop faibles et trop brouillons pour les comprendre, quand la conseillère réapparut dans le corridor.

Les doigts enroulés autour du poignet du prince, elle le tirait à sa suite avec empressement.

À quoi jouait-elle ?

Elle ne va tout de même pas le ramener dans la salle du banquet pour annoncer la mort du roi ? s'horrifia Cliste.

Il avait une basse estime envers les nobles, mais tout de même pas au point qu'ils se montrent aussi stupides ! Sa curiosité, teintée d'une pointe d'inquiétude, le poussa à les filer.

Les deux itakis remontèrent les corridors d'un pas pressé, mimant un air plus apaisé lorsqu'ils croisaient des gardes ou des domestiques, puis bifurquèrent vers l'ouest.

À l'opposé même de la salle du banquet, songea Cliste. La conseillère Nésifie n'est finalement pas une idiote.

Mais son comportement restait suspect. D'autant plus alors qu'elle traînait le prince vers les tréfonds ténébreux de ce palais pourtant d'albâtre et d'or.

Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now