13 - « Pour la cause ! »

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ISELA


Entre le magicien sur lequel elle n'avait aucune emprise et cet itaki dont elle ignorait tout, Isela s'attendait à plus d'épreuves pour les convaincre de la suivre jusqu'à Waba, d'autant plus les yeux bandés. Mais la seule énonciation de racine-mère semblait avoir convaincu Sen, qui gardait étrangement un certain ascendant sur son compagnon de fuite.

Pourquoi Owen le suivait-il ainsi sans rechigner ?

Isela ne parvenait pas à en toucher un bout de soupçons. Elle espérait qu'une fois à Waba, mêlée aux enfants et mères de l'orphelinat, elle trouverait un moyen de les séparer. Sen pourrait utiliser la racine-mère à sa guise, tandis qu'elle rallierait le magicien à sa cause.

Ou bien je reste sur mon idée de convaincre aussi ce petit voleur de se joindre à nos forces?

Mais le rang méconnu de Sen la plongeait dans un doute profond. Elle restait persuadée qu'un noble userait de ses relations plutôt que d'infiltrer le palais pour libérer un prisonnier... Mais d'un autre côté, le comportement et les réflexions de l'itaki restaient suspects, loin de ceux d'un paysan.

— Je vais te guider, clama-t-elle en agrippant la manche de Sen. Et toi, tu le feras pour Owen.

Sen acquiesça et elle lança la marche. Mais malgré son engouement de quitter Quavent, elle dut ralentir en sentant l'itaki faire frein. Les deux mâles se sentaient bien trop mal à l'aise pour progresser à l'aveugle au rythme d'une marche régulière.

— Je ne vais pas vous envoyer dans un fossé, leur assura Isela, qui voila son exaspération derrière un ton doux.

Elle appuya ses aveux en glissant ses doigts dans la main de Sen, plutôt que de tenir sa manche. Il ne sursauta même pas. Elle grimaça, l'ego blessé alors que son contact lui fit si peu d'effet, mais elle refoula ce sentiment aussi inutile que stupide.

Concentrons-nous!

À un bras de la roche hérissée de cristaux, elle ferma les yeux. Bien qu'elle sût l'illusion en place, il lui restait toujours ardu de foncer dans un mur pour le traverser telle une simple vision.

Un pas.

Deux pas.

Au troisième, elle rouvrit les paupières.

Devant elle se dressait un canyon abrupt, ses hautes falaises brisant la vue de leurs arêtes de roche claire. En contrebas, les torrents d'eau grondaient en échos à travers la fissure. Isela n'avait pas le vertige, mais elle préféra relever ses prunelles larimar sur la maigre corniche qui serpentait à flanc des pics. À une telle altitude, le fleuve hurlant n'amortirait guère une chute fortuite.

Elle espérait quitter prestement ces gorges escarpées, mais dès qu'elle tentait d'accélérer le rythme, Sen traînait à nouveau des pieds, quand Owen ne trébuchait pas. Elle se retint de les insulter de tous les synonymes d'empotés qui lui passaient par la tête, le regard rivé vers l'avant. L'itaki devait néanmoins sentir sa frustration à sa poigne qui serrait d'un cran de trop sa main entre ses doigts.


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Un quart d'heure s'écoula quand elle s'enfonça enfin dans le tunnel qui menait à Waba. Coincée sous la roche ocre, loin du canyon extérieur, elle rendit la vue à ses deux acolytes. Elle se permit d'admirer un instant les prunelles d'or de Sen qui s'acclimatait à la luminosité. L'espace restait sombre, mais après tant de minutes les yeux bandés, même cette obscurité paraissait probablement aussi éblouissante que la lumière d'Imshe. Quand vint le tour du magicien, elle s'attarda davantage sur ses oreilles arrondies que son regard d'émeraude.

Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now