10 - « Faucheuse dorée »

64 18 40
                                    


OWEN


Le prince grondait plus tôt de se méfier de la belle rouquine et maintenant, il me pressait de sauter dans le vide ! Pouvait-on faire plus girouette ? Certes, une patrouille gagnait notre courtine au pas de course, mais était-ce une raison pour se confondre avec Jésus marchant sur l'eau, mais de manière plus vertigineuse ?

Ses mains dans mon dos se faisaient plus oppressantes, tandis que mes prunelles ne pouvaient s'empêcher de fixer l'abîme qui s'étirait à perte de vue. Bâti sur le plus haut pic de la chaîne montagneuse, le palais surplombait les nuages, les pieds de ses remparts se perdant dans une mer cotonneuse. Les prétendues plateformes invisibles, leur bordure dessinée d'une nuée de poudre scintillante, ne contrastaient guère au-dessus de cette masse dorée par les rayons du ciel.

— Dépêchez-vous ! insista le prince qui me montra l'exemple à suivre d'un bond au-dessus du vide.

Ses pieds foulèrent la poudre claire, tandis qu'il sautait à nouveau à mes côtés.

— Si vous ne vous décidez pas, ma mère va vous faire tuer et moi je serai enfermé à double tour dans ma prison dorée.

J'aurais volontiers répondu à sa détermination brûlante d'un saut sur ce sentier invisible, mais mon cœur restait figé, persuadé que cela revenait à un suicide.

Regarde la rouquine, tentai-je de me persuader. Elle marche dans les airs. Tu peux faire pareil!

Je déglutis, tandis que le prince s'agitait tel un asticot, s'élançant tantôt vers les gardes qui se rapprochaient dangereusement, tantôt vers le vide, peut-être dans l'idée de m'abandonner là.

— Bougez ! La solix s'envole ! gronda-t-il finalement en me tirant à sa suite.

Probablement portées par l'instinct de survie, mes jambes sautèrent par-dessus le vide. Mon corps se crispa et mes mains se jetèrent à l'assaut des épaules de ce chat de malheur ! Je les agrippai fermement, le souffle coupé, le regard rivé vers l'abîme.

Mes pieds nus... flottaient au-dessus des nuages.

— On continue ! clama le jeune félin qui me tira à nouveau.

Mon esprit était mort, enfui au loin de cette vision d'horreur, quelques grains brillants me séparant d'une chute longue et létale. Mes muscles réagissaient seuls, suivant le prince qui courait le long de ces plateaux de poussières de diamant, sans un regard vers le bas.

Il fait beau pour une nuit, furent les seules pensées qui traversèrent mon esprit durant de longues minutes.

Intérieurement, j'étais mort...


---


Mon cœur battait calmement, mon esprit s'étant voilé plutôt que de relever l'épreuve que ces deux énergumènes à oreilles félines m'avaient imposée.

Notre cavalcade aérienne est-elle terminée? me demandai-je, tandis que mon corps ne se mouvait plus

Je respirai profondément, sans parvenir à réveiller mon esprit. Seuls deux poids sur mes épaules picotaient, tantôt doux, tantôt fort.

— Owen ! souffla le prince de sa voix suave.

Elle était proche. Probablement était-ce ses mains qui me frictionnaient, descendant parfois sur mes biceps nus.

— Tu devrais l'asseoir, proposa le timbre plus clair de la voleuse. Il a l'air... choqué.

— Oh, vraiment ? cracha mon compagnon masqué dans un sarcasme agressif.

Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now