39 - « Projections »

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ISELA


Isela n'aimait pas ça.

Suren mordillait ses ongles à en paraître plus suspect qu'un criminel. Elle n'avait pas usé de ses meilleurs appuis faussaires pour que ce jeune idiot les fasse prendre à cause de son angoisse maladive. Assis à l'arrière d'un chariot de vivres, ils devaient imiter les ouvriers d'un marchand et non s'agiter tels des malfamés.

— Tu pourrais te calmer un peu, siffla la rouquine qui se cala contre le flan de son compagnon.

— Me calmer ? répéta le prince à mi-voix, ses prunelles brillants d'une colère soudaine qui surprit Isela. Après tout ce que j'ai traversé, tu me demandes de rester serein alors que j'apprends que les Wabans traversent les ponts grâce à des faux papiers, ni vu ni connu ?

Décontenancée par les propos de l'itaki, elle le fixa d'yeux ronds, incapable de prononcer le moindre mot. Elle le pensait inquiet que le plan d'Isela trébuche à mi-parcours, mais il n'en était rien.

Ce sale noble est juste outré de réaliser que les siens sont bien des arrogants aveugles! pesta-t-elle intérieurement.

Mais elle ne pouvait prononcer de tels aveux. Pas en ces circonstances. Suren risquerait de s'emporter et de les faire repérer. Les gardes n'appréciaient guère les disputes aux abords des postes de douanes et enquêtaient sans vergogne sur les fauteurs de troubles pour les ficher.

— Tu attires l'attention, argua-t-elle dans une moue pincée. Tu veux être obligé de leur révéler ton identité ?

— Il faudra bien que ça arrive si on veut entrer dans le palais.

— Tu sais très bien que non. Sinon, vous ne m'auriez pas rencontrée dans les couloirs avec Owen.

Suren se renfrogna, les bras enroulés autour de ses jambes. Il restait bougon, mais il paraissait moins louche. C'était déjà un bon point.

— Nous en avons parlé, continua la demoiselle. On laisse Owen à l'orphelinat pendant que Nolie et toi revenez au palais. Une fois à l'intérieur, tu montres aux tiens que tu vas bien. Que Nolie a réussi à t'extirper des griffes de brigands qui espéraient te rançonner.

— Ça ne marchera jamais.

— Tu ne le penses pas.

Suren respira bruyamment, les lèvres pincées. Isela lisait en lui comme dans un livre ouvert, bien qu'elle ne sût déchiffrer les écritures des manuels papier. Le prince savait que sa mère ne se soucierait guère du pourquoi et du comment dès l'instant qu'elle retrouverait son fils adoré.

— Surveille bien Owen pendant que j'irai voir ma connaissance au palais, lâcha finalement Suren.

— Comme s'il y avait besoin de le surveiller, contrairement à toi, la railla Isela.

— Vous savez que je vous entends ? grommela le concerné. Même si vous discutez à voix basse. Vous ressemblez à deux gamins qui planifient leur prochaine bêtise.

Isela mina une moue outrée avant de claquer l'épaule du prince d'une paume.

— Ne me confonds pas avec ce petit gredin.

— Et c'est toi qui me traites de gredin, riposta l'itaki dans un sourire en coin. Elle est bien bonne celle-là.

Isela se laissa porter par cette douce chamaillerie qu'Owen avait provoquée, soulagée de voir le prince plus détendu. Elle n'en dit mot, mais elle lui était reconnaissante de son tour de passe-passe qu'elle sentait réfléchi, et non de simples paroles jetées en l'air par pur hasard.

Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now