37 -Les Hommes

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ISELA


Le prince semblait plus pressé de décamper de Champri qu'inquiet pour Owen. Pourtant, Isela n'avait cessé de noter sa tendance à coller l'arrière-train du magicien plus que nécessaire. D'un autre côté, Isela comprenait son angoisse. Elle haïssait la reine, contrairement à lui, mais malgré cela, elle n'osait imaginer que ces fanatiques avaient été créés par la couronne.

Lashinn n'est pas le seul endroit à déplorer des disparitions étranges, se remémora Isela, tandis qu'elle enjambait la fenêtre de la chambre à la suite de Suren.

Lors de leur rencontre, Suren avait refusé d'entendre ses accusations prétendant que ceux qui touchaient à la nourriture offerte par la royauté disparaissaient ou mourraient. Le cœur du temple de la capitale abritait-il lui aussi une secte qui transformait des innocents en brûlés, avant de déverser leur sang sur un sacrifié ?

L'état de Quavent lui sembla tout à coup pire qu'elle ne le craignait déjà.

Non... ça ne peut pas être horrible à ce point, tenta-t-elle de se convaincre. Je me trompe.

En contrebas, Suren atterrissait lourdement dans le maigre jardin qui entourait l'aile ouest de l'auberge. Isela n'attendit pas pour le rejoindre d'un bond, tandis qu'il s'éloignait déjà sans un regard en arrière.

Les deux pieds dans l'herbe fraîche, sous le couvert des ombres grossières des champignons géants, elle prit néanmoins un instant pour zyeuter l'intérieur du bâtiment.

Le faune ne chantait plus.

D'un coup d'œil en arrière, elle discerna Suren qui sautait la clôture du terrain. Elle n'avait pas le temps pour retrouver ce satané beau parleur cornu ! Mais elle ne pouvait non plus rester dans l'incertitude qu'Owen sortît indemne de l'auberge.

Elle scruta chaque table de ses prunelles larimar. Elle examina tous les visages, de l'itaki, au yazuokh, au tanblan... toutes les races du royaume semblaient composer ce village maudit ! Quand elle repéra finalement l'humain. Non loin de la sortie, il conversait avec un faune.

Les voilà!

Ils sortirent et Isela fit volte-face. De souples enjambées, elle rattrapa le prince qui s'engageait déjà sur le sentier menant tout droite vers la sortie de Champri.

— Tu aurais pu attendre, grommela-t-elle.

Le regard rivé vers l'horizon, il ne daigna pas lui répondre. Elle doutait qu'il l'ait entendue, probablement perdu dans ses tourments. Elle n'était elle-même pas en état de le lui reprocher. Circuler le long du sentier pavé, à l'ombre écrasante des hauts bâtiments et décorations fongiques, lui laissait un goût amer. Ce contraste déroutant entre le calme de leur marche vers la sortie de la cité et l'interrogatoire plus tôt dans l'auberge lui paraissait irréel.

Ils avaient usé de l'identité du prince pour entrer dans Champri, suivit un inconnu auquel ils n'auraient jamais du faire confiance, découvert un traquenard et tué une itakie, pourtant, tout paraissait si... paisible. Les habitants vaquaient à leurs occupations, d'autres les croisaient sans émettre d'opinion. Seuls leurs regards perplexes pouvaient tirer un brin d'inquiétude à l'idée que l'un d'eux les questionnât sur les raisons qui avaient poussé les gardes à les laisser entrer dans Champri. Dans la cité coincée en quarantaine depuis plus de deux ans.

— Arrêtons-nous là, lâcha soudain le prince.

Isela hoqueta et le dévisagea, tandis qu'il s'adossait à un pied de champignon. S'il ne s'étirait pas vers le ciel d'une forme douteuse, elle aurait pu le confondre avec un tronc.

Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now