15 - « Traîtresse ! »

44 15 34
                                    


OWEN


J'ignorais la portée de cette promesse derrière laquelle le prince se cachait, mais je ne dis mot. Rien de magique ne nous liait, mais je ne comptais aucun grief envers lui pour le dénoncer si lâchement. Isela semblait attachée à sa ville et à sa cause, il me fallait donc garder Sen auprès de moi pour explorer ce monde. Sans lui, je me perdrais certainement, si personne ne me capturait à cause de ma nature humaine, doublée de mes méconnaissances.

Il a tout de même un sang-froid et un culot à toute épreuve, pensai-je, tandis que Sen prenait place dans un fauteuil, livre en main.

Dans un sourire, il fit signe aux enfants retranchés derrière Calie de s'approcher. Contrairement à Isela, ils ne se firent pas prier pour ignorer les origines du prince et se ruèrent autour de son fauteuil. Ils étaient encore trop jeunes pour réellement comprendre les enjeux qui s'érigeaient tel un gouffre entre la couronne et leurs aînés.

Les cadets s'assirent aux pieds de Sen, tandis que les plus âgés comblèrent leur dos. Il ouvrit le livre et entama sa lecture. Pour un prince, ses prunelles pétillaient d'une exaltation aussi étincelante que celle des enfants. J'écoutai d'une oreille distraite le conte qui s'évadait au fil d'une épique épopée. Un sourire étira mes lèvres, tandis que je comprenais l'enthousiasme de Sen. Une telle histoire ravissait tout autant son âme aventurière qu'elle alimentait les rêves des plus jeunes.

Elle s'acheva finalement sur une morale, conclusion qui semblait indissociable de ces fables pour enfant, quel que fût le monde.

— On ne peut comprendre la joie de vivre sans en connaître quelques tristesses, lut Sen. Tout est un équilibre qui ne doit pas être rompu, sous peine de transformer la contrepartie en un reflet fade de sa réelle nature.

Je trouvais les mots de fins un brin imaginés pour des enfants si jeunes, mais trop heureux d'assister à leur premier conte, ils ne dirent mot, portés par la voix suave du prince. Un silence nous enveloppa de son aura apaisante, m'attirant doucement dans les bras de Morphée... et il aurait réussi si Sen n'avait point refermé bruyamment l'ouvrage entre ses mains. Ramenée à la réalité, les ouailles bondirent sur leurs genoux et scandèrent des « encore » dans l'espoir que le prince entamât un nouveau conte.

— Quelle motivation ! clama une voix claire de l'entrée.

Malgré sa propriétaire dissimulée derrière les bibliothèques, les enfants la reconnurent aussitôt. Une dizaine d'entre eux se ruèrent à sa rencontre, talonnés par leur gardienne, tandis que cinq traînards hésitaient à continuer de tanner Sen.

— Bonjour Nolie, la salua Calie. Par la déesse Imshe ! Qu'est-il arrivé à votre main ?

À son ton horrifié, j'entendis Isela débouler sur le seuil d'entrée. Elle pesta, ses jurons attisant la curiosité des derniers enfants à nos côtés.

— Ce ne sont que des coupures, les rassura la nouvelle venue, tandis que je me retrouvai en seule compagnie de Sen dans la bibliothèque. Isela, je venais te voir. J'ai appris que tu avais infiltré le palais. Nous devons discuter.

J'échangeai un regard avec le prince, incertain de la conduite à tenir. Devions-nous saluer cette nouvelle venue à un moment qui semblait fort mal choisi ou rester dissimulés, au risque de surprendre une conversation gênante ? Je tapotai l'accoudoir de mon siège d'un index, indécis, tandis que le prince se mordillait les lèvres.

Ce fut Isela qui brisa notre hésitation en entraînant cette Nolie à notre rencontre. Nous nous levâmes de nos sièges dès qu'elle apparut entre les rangées de livres.

Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now