Ténèbres d'Imshe

11 - « Soupçons et élu »

ISELA

La situation était inconfortable. Par chance, le brun se retrouvait coincé dans les bras du magicien et non des siens. Il comptait une ligne et des traits forts séduisants pour un itaki, mais elle se méfiait de cet impétueux qui la lorgnait d'un air suspicieux. En l'instant, il avait davantage le faciès d'un bambin horrifié, néanmoins, qui ne le serait pas, ainsi pincé entre la lumière mortelle d'Imshe et le corps élancé d'un mâle nu sous sa cape ?

En face d'eux, trois soldats de la milice avaient rendu leur âme à la déesse. Les regards vides et les membres ballants, ils piétinaient sans but sous la lumière aveuglante. Isela frissonna, espérant que son leurre n'ait pas commis la même erreur que ces itakis. Elle ne se pardonnerait pas la mort d'un enfant de l'orphelinat...

L'angoisse enserrait son cœur, quand les rayons dorés s'évanouirent derrière un ciel au bleu salvateur.

— Courez ! clama Isela qui bondit sur ses pieds.

Elle enroula ses doigts autour du biceps du jeune itaki et l'extirpa des bras du magicien. Il tomba à la renverse, avant de se relever prestement, leur acolyte à leur suite.

Au pas de course, elle s'engouffra entre les bâtisses qui se dressaient sur le maigre plateau rocheux et bifurqua vers des ruelles plus sombres. La milice gagnait leurs compagnons d'armes, dorénavant des enveloppes charnelles sans âme, tandis qu'elle conduisait déjà ses nouveaux acolytes dans les tréfonds de Quavent.

Malgré leur rythme effréné, elle restait surprise qu'ils lui emboîtent le pas sans faillir. L'itaki se déplaçait avec une aisance en général connue des femelles et le magicien affichait une forme physique surprenante pour un mâle orienté vers la magie. Leur souffle se faisait court, mais guère plus que le sien.

Sans ralentir, elle les conduisit au plus bas de la capitale, derrière les quais et plus encore, au pied d'un ancien moulin aux pales qui exprimaient toute leur vieillesse de grincements lugubres. Les mains sur les hanches, le dos droit et le visage en sueur, le magicien fixait leur bois blanc sans dire mot. À ses côtés, son jeune partenaire soufflait telle une tempête, replié sur lui-même, les bras en appuis sur ses genoux.

Isela fronça les sourcils à la vue d'une pierre de mimétisme qui balançait autour de son cou. D'un blanc pur, elle était une perle rare parmi les raretés du royaume.

Est-elle active ? se demanda-t-elle, un brin de suspicion faisant frémir son cœur.

Les voleurs s'arrachaient ces joyaux hors de prix qui pouvait atteindre la valeur d'un manoir pour les plus puissants. Malgré son jeune âge apparent, l'acolyte du magicien semblait fort expérimenté pour posséder pareille relique...

Un itaki assez riche pour jouer de son influence ne s'abaisserait pas à infiltrer le palais, tenta de se convaincre la rouquine.

Elle détourna le regard vers le lac, tandis que le voleur se redressait. Il respira bruyamment et fit craquer son dos.

— Et maintenant ? s'enquit-il.

— Je vous emmène à Waba, trancha Isela. Mais d'abord, achetons des vêtements pour le magicien.

Il coula un regard gêné au concerné qui croisait les bras sur son torse.

— Mes excuses, souffla le brun. Cette course folle et la voleuse d'âme m'ont fait oublier les priorités.

— Reste avec lui pendant que je vais au marché, lui ordonna Isela qui s'avançait déjà. La milice ne descend jamais dans les bas quartiers de ce plateau, trop pauvres et trop loin du palais. Mais protège-le contre d'éventuels sans le sou qui voudraient vous voler.