Ténèbres d'Imshe

48 - « Mauvais rêve »

SUREN

Owen ne l'abandonnerait. Suren le voyait clairement, mais cela n'arrangeait pas vraiment leur situation. Sa mère et Nésifie n'avaient pas exagéré leurs propos : les semblables de l'élu voyaient les autres races comme de simples esclaves. Il n'y avait aucun avenir pour Suren et les siens si l'orbe éclatait.

Le problème résidait dans le fait d'en sortir sans justement la détruire et permettre à ces humains de déferler sur Sinduine. Personne ne serait prêt à repousser ces vagues armées qui apparaitraient en tous points, même au centre des bastions les mieux gardés.

— Je pensais l'autel d'Imshe dans un meilleur état, soupira le capitaine tandis qu'ils débouchaient au sommet d'une tour, dans un grenier qui manquait clairement d'entretien. Il serait malvenu que vous convoquiez la renarde dans ce bazar. Si son frère Limpis l'apprend, il pourrait se sentir insulté que nous ne prenions pas soin d'un des derniers lieux de culte de sa petite sœur.

Un sourire amusé aux lèvres, le capitaine s'en tourna vers Owen.

— Il ne le montre pas, mais c'est un grand frère plutôt protecteur, ajouta-t-il en tapotant l'épaule de l'élu. Mes excuses de vous avoir fait monter jusqu'ici pour rien. Mes gardes vont ordonner aux esclaves de nettoyer et vous reviendrez demain matin.

— Vous... vous avez des esclaves ? s'enquit Owen troublé.

Suren ne dit mot, mais l'idée l'horrifia d'autant plus.

— Oui. Nos ancêtres ont réussi à renvoyer dans leur cage ceux qui se sont sacrifiés pour nous enfermer ici. Ces idiots de sauvages ont coincé des leurs en même temps que nous pour consolider leur magie impure. Depuis nous en faisons l'élevage. Ça se reproduit bien ces bêtes-là.

— Espèce de sale monstre, grogna Suren.

Il savait l'idée stupide, mais sa haine ne pouvait plus être contenue. Il ne regretta pas une seule seconde de l'avoir laissé sortir de ces quelques mots, même après le coup de pommeau d'épée qu'il reçut en pleine tempe. Surpris et sonné, Suren tomba à terre.

— Non ! tonna Owen qui s'interposa.

La vision floue, il ne percevait que sa haute silhouette, tandis qu'un filet chaud coulait sur son visage.

Sûrement du sang...

— Vous devriez mieux dresser votre esclave ! siffla le capitaine furieux. Malgré tout le respect qu'on vous doit pour être notre porte de sortie, il ne sera pas accepté qu'une sale bête parle sur ce ton de défiance !

— Laissez-nous le temps de nous accommoder à cet endroit.

— De nous accommoder ? répéta Suren enragé dont les sens revenaient peu à peu.

Il n'eut le temps de se relever ni de s'exprimer davantage. Owen ordonnait déjà à Nyx de le bâillonner.

Le prince se débattit, mais en vain.

Owen semblait horrifié par ce qui se déroulait sous ses yeux, contraint d'avoir donné un ordre contraire à son bon vouloir, à l'inverse du loup de nuit qui semblait bien s'amuser à la ligoter toujours plus fort. À tel point que Suren finit par lâcher prise, étouffé par les ténèbres qui barraient son torse.

— Doucement, lui intima Owen d'une main plongée dans sa noirceur immatérielle. Il ne peut plus respirer.

— C'est vraiment jouissif de revoir un neuri, sourit le capitaine. Mes excuses pour avoir élever la voix sur vous, mais nous sommes un peu tous à cran de croire à un avenir hors de cette illusion. Et vous êtes certainement exténué d'avoir réussi l'exploit de venir jusqu'à nous. Sûrement trop pour vous soucier des petits écarts de conduite d'un simple esclave.