6 - « Alerte ! »

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OWEN


Les rumeurs prétendaient que la nuit portait conseil... mais pour cela, le ciel devait s'assombrir sous une toile obscure et non resplendir de ce doré aveuglant. Sous prétexte qu'il était l'heure de dormir, au vu des deux lunes qui grimpaient par-delà l'horizon, un garde avait abaissé des rideaux opaques sur toutes les fenêtres.

— Tu devrais remercier le prince pour sa bonté ! cracha le soldat au visage de tigre. Moi, je t'aurais laissé croupir sous la lumière éternelle. Un bon moyen de torture pour délier les langues.

Je ne répondis pas à sa provocation. Cela me paraissait plus dangereux qu'utile... et plus important, je ressassai ses menaces.

Dois-je en comprendre qu'il ne fait jamais nuit?

Cette éventualité me tira un sourire. Moi qui angoissais facilement au fil de mon imagination, perdu dans les ténèbres du soir, je trouvais ce monde soudainement plus gai... malgré ma situation.

Une grimace déformant mes traits, je baissai les yeux sur l'objet abandonné par Imshe plus tôt. Pas plus grosse qu'une balle de tennis, sa surface poreuse au noir charbonneux me rappelait celle des pierres volcaniques. Durant une petite virée, j'en avais ramené une de la chaîne des Puys, et celle que je tenais entre mes mains me paraissait identique.

— Qu'est-ce qu'Imshe espère que je fasse avec ça ? grommelai-je, las de m'abîmer la rétine pour examiner ce stupide caillou dans la pénombre artificielle.

Elle m'aurait donné un objet inutile que je ne serais pas surpris...

Je ne comptais même pas de poche pour le ranger sous cette vulgaire cape qui m'irritait la peau. Les félins bipèdes de ce monde n'avaient-ils donc aucun honneur à laisser un homme pourrir à moitié nu dans une cellule.

Voilà comment les dieux félicitent mon acte de bravoure... pensai-je amèrement dans un soupir. J'aurais préféré rester athée.

Adossé au mur de pierre, je laissai ma tête choir mollement en arrière. Mes prunelles d'émeraude rivées au plafond, je contemplai le travail d'orfèvre des araignées. Même en ce monde, ces bestioles que beaucoup prétendait hideuses existaient... du moins, leurs toiles semblaient identiques.

Je respirai profondément, quand une surface humide chatouilla mon orteil. D'un bond, je rabattis mes jambes contre mon torse. Je laissai une exclamation de stupeur s'échapper d'entre mes lèvres en croisant le regard globuleux d'une bête au pied du banc de pierre claire.

— C'est quoi ce truc ?

La créature ne s'affola pas, sa tête de reptile velu me fixant de ses globes vitreux. Sa langue de grenouille surgit de son museau, comme chassant une mouche invisible, tandis que ses ailes de libellule frétillèrent. Bien qu'étrange, cette bestiole paraissait inoffensive sur ses quatre pattes qui peinaient à soulever son ventre arrondit au-dessus de la pierre. Elle ne devait pas être plus grosse qu'un chaton.

Doucement, je me penchai et examinai sa courte fourrure d'or et de rouge.

— Comment es-tu arrivé là toi ? m'enquis-je.

Elle se releva sur ses pattes arrière et battit de la queue. Je me surpris à sourire devant son plumeau d'albâtre qui chassait la poussière.

— Voir un reptulle t'amuse ? souffla une voix suave.

Dans un sursaut, je relevai le menton et scrutai l'obscurité de ma cellule. Mais j'étais seul... si je ne comptais pas cette étrange bête à mes pieds.

Ténèbres d'ImsheOù les histoires vivent. Découvrez maintenant