18 - « Labyrinthe vert »

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OWEN

Le jeune prince me faisait rire. Malgré ses efforts pour s'intégrer dans la populace, sa politesse détonait avec l'ambiance plus brute et sauvage qui régnait dans cette ville. Les habitants semblaient se compter parmi les aventuriers, voleurs, escrocs et ivrognes presque caricaturaux d'un bon regroupement de marginaux opposés au gouvernement en place. Pourtant, les raisons soulevées plus tôt par Isela m'avaient paru censées, relevant des idéaux d'un peuple on ne plus normal.

— Pourquoi souriez-vous ? s'enquit Suren d'un air perplexe.

Il n'osait pas rabrouer le prétendu élu de sa déesse, mais me croire à me moquer de lui ne lui plaisait apparemment guère.

— Ton éducation te donne un côté innocent dans cette ambiance de chasseurs de primes, lui avouai-je simplement.

Comme aimait le crier un de mes vieux amis, je ne m'étais jamais vraiment soucié de tortiller du cul pour jouer les âmes pures, hormis envers mes supérieurs hiérarchiques. Une manière hypocrite de se comporter dans le monde du travail ?

Qui ne l'est pas, ne serait-ce qu'un peu, pour survivre dans cet univers de requins aux dents tellement longues qu'elles en rayent le parquet, mais aussi le carrelage?

Je secouai imperceptiblement la tête pour en chasser ces pensées.

Je ne suis plus de cet espace, me remémorai-je en levant les yeux sur le plafond rocheux, parsemé d'une myriade de plantes phosphorescentes. Mais d'un autre côté, j'ai comme l'impression que ce monde est pire...

— Ne me confondez pas avec un incapable qui ne sait que minauder, grogna le prince.

La mine sombre, il semblait vexé. Je tentai de lui assurer qu'il était loin de moi l'idée de la rabaisser sans le connaître, mais il me coupa.

— Nous sommes arrivés, lâcha-t-il en accélérant le pas.

Au bout du pont suspendu se dressait un cube rocheux aux arêtes aussi nettes que celle d'un bâtiment érigé par l'Homme. Son carrelage de blanc crème, dénué de toute impureté, détonait des ruelles crasseuses de Waba. Mais plus que cette construction qui semblait venir d'un tout autre univers, malgré la nouveauté de ce monde, mon regard resta vissé sur le vortex qui gargouillait en son centre. Des langues aqueuses au vert luisant glissaient hors de ses tourbillons sombres, léchant timidement les racines d'albâtre qui l'entouraient. Elles dessinaient avec une précision rare un cercle parfait, tandis que des branches s'évasaient plus grossièrement au sommet et ajoutaient une touche rougeoyante à la pierre ocre qui leur servait d'appuis.

— Je comprends mieux le terme de racine, avouai-je à demi-voix, hébété par un tel portail.

Il me paraissait à la fois sublime, de par sa conception naturelle, et terriblement repoussant avec ses tentacules dégoulinants qui s'agitaient hors de sa masse. Ses tourbillons se trouvaient-ils composés de cette même matière écœurante ?

Ma crainte s'élevait de pas en pas, tandis que son vortex verdâtre devenait plus précis à mes yeux. Je déglutis, tentant désespérément de chasser hors de ma caboche enfiévrée d'imagination l'idée d'un liquide visqueux, semblable à de la bave de monstre, dégouliner le long de mon corps. Une grimace déformait mes traits, incapable de maîtriser mes pensées... quand le prince m'agrippa le poignet.

Je sursautai, tandis qu'il me tirait à sa suite avec force. Mais je restai plus grand, plus fort, et freinai sa course sans peine.

— Nous n'avons pas le temps ! souffla-t-il horrifié.

Je plissai les yeux, exprimant toute mon incompréhension devant son empressement soudain, mais il ne me regardait plus. Curieux, je suivis son regard.

— Et merde, lâchai-je en découvrant une jeune rouquine qui déboulait en contrebas.

Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now