14 - « Lecture surprise »

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SUREN


La bicoque ne payait pas de mine. Coincée entre deux bâtiments, elle s'étirait au-dessus de leur toit de planches brutes pour s'aplanir en un lourd pavé dépeint. Mais plus que sa conception cubique dénuée d'un œil artistique, Suren s'inquiétait davantage de sa solidité. Quand les lattes ne ressemblaient pas à du bois pourri, elles comptaient nombre de fissures ou de nids d'insectes.

— Ce n'est pas un piège, lui sourit Isela qui se méprenait sur la raison de sa mine soucieuse.

Il préféra la laisser à ses préjugés et la rejoignit au sommet des deux marches qui surélevaient l'entrée du sol, probablement dans le maigre espoir d'éloigner son seuil de la terre sale et nauséabonde de la rue. Il n'avait guère aperçu de déchets qui auraient pu transformer Waba en vulgaire bidonville, mais les effluves qui y régnaient restaient désagréables. Owen semblait s'être ravi des senteurs du marché et de ses produits locaux, contrairement à Suren qui avait froncé le nez à chaque nouvel étal.

Je n'imaginais pas l'aventure ainsi, pensa-t-il dans un soupir las en dépassant Isela. Et encore moins finir dans une hutte de Waba!

Il leva ses prunelles d'or vers les hauteurs et observa Owen qui grimpait l'escalier intérieur, quatre marches en amont.

Voyons les choses du bon côté : je suis en bonne compagnie.

Mais cette vue fort agréable s'effaça de son champ de vision, tandis qu'ils atteignirent le sommet. Debout sur le seuil d'une pièce plus longue que large, dont les parties semblaient délimitées par des tentures délavées ou des bibliothèques mal alignées, Suren coula un regard à Owen et examina sa réaction. Le magicien semblait serein, loin de l'angoisse qui animait le cœur du prince.

Cela doit être une pièce normale, tenta-t-il de se convaincre malgré la simplicité de la salle. Reste naturel ou bien tu vas finir par attiser les soupçons sur ton rang, mon vieux.

— C'est grand ! lâcha Owen avec sincérité.

À ces mots, Suren perdit le contrôle. Ses sourcils grimpèrent d'un bond sur son front, tandis qu'il fixait le magicien dans une grimace déroutée. Fort heureusement, personne n'en remarqua rien. Isela les dépassa et jeta un coup d'œil vers l'aile ouest, derrière un pan de tissu garancé. Des frises ocre décoraient ses bordures, sans pour autant rendre la tenture attrayante avec ses couleurs fades.

— Je ne vis pas seule, avoua la voleuse qui reporta son attention sur Owen. Vous êtes dans un orphelinat.

— Tu es ...? s'enquit le magicien sans oser achever sa question.

— Orpheline, oui, trancha Isela avant d'explorer à nouveau la salle. Ma mère est morte quand j'étais très jeune, emportée par la maladie avec mon frère, et mon père a été exécuté par la royauté. Je suis la seule rescapée.

— De quoi avoir une sacrée haine envers les têtes couronnées, siffla Owen qui coula un coup d'œil gêné à Sen.

Le prince grimaça, l'espoir que le magicien comprît ses regards en coin dangereux pour sa couverture.

— Mon père était le régent de Waba, avant l'actuel, soupira la voleuse. Un mâle fier, mais juste. Malheureusement, il a donné trop de crédits aux belles paroles de son cadet et lui a offert une confiance aveugle. Au final, mon... « oncle » l'a trahi pour s'acheter un titre de noblesse. Les dirigeants espéraient faire tomber Waba et ses insurgés en décapitant le fameux serpent, mais nous ne sommes pas si faibles.

Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now