19 - « L'heure de dormir ? »

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SUREN

Le trajet dans la dimension de la racine-mère fut plus long que prévu et fort dérangeant, mais Suren ne s'en plaignait pas. Il se ravissait de la compagnie d'Owen. Il se demandait simplement si tous les humains se montraient si tactiles. En tant que prince, il n'avait guère l'habitude d'une telle proximité... d'autant moins de mâles. Pourtant, il appréciait davantage leur charme que ceux des itakies. Il ne pouvait néanmoins l'avouer, au risque de tuer sa mère d'une crise d'horreur et de soulever un vent d'outrage parmi la cour. Unique héritier, il n'avait d'autre choix que d'accepter la main d'une femelle qui porterait ses enfants.

Il ignorait simplement comment il parviendrait à offrir sa semence à cette moitié imposée envers laquelle il n'éprouverait aucun désir.

Pendant un temps, il avait imaginé trouver la perle rare qui souhaiterait deux mâles dans son lit, lui permettant d'éveiller discrètement ses propres désirs. Mais l'idée fut vite soufflée devant ces itakies dont les mères éduquaient farouchement l'innocence depuis leur naissance. Elles en ignoraient jusqu'à la méthode pour concevoir un enfant... Suren l'avait découvert à ses dépens auprès d'une héritière qui s'évanouit, outrée par ses sous-entendus. Elle fut, et resterait, son unique erreur à la cour.

— Tu sembles soucieux, fit remarquer Owen.

— Je réfléchissais à la marche à suivre, mentit-il.

Un sourire malin étira ses lèvres, tandis qu'ils avançaient vers le portail tant convoité.

— Sans mauvais jeu de mots, ajouta le prince.

— Je ne veux plus entendre parler de marches, de racine-mère et d'escalier de poudre avant un moment, grommela l'humain. Qu'avez-vous avec la poudre d'or dans ce monde ? D'abord pour s'enfuir du palais et maintenant pour rallier deux portails.

Suren osa un rire sincère, mais ne se risqua pas sur le sujet.

— Traversons le portail. Lashinn est une ville portuaire, loin des hauteurs qui vous effraient tant.

— Bonne nouvelle !

Un sourire illumina le visage du prince, avant qu'il s'élançât, la mine plus soucieuse, à travers le vortex gargouillant.

De l'autre côté, une brise chargée d'une humidité étouffante lui claqua les joues. Contrairement à Quavent qui se hérissait le long des pics de la chaîne montagneuse, Lashinn se trouvait proche des eaux et de son climat chaud. Néanmoins, au beau milieu de la saison des pluies, Suren ne s'entendait pas à un tel contraste. Sa tenue lui collait à la peau, l'obligeant à jouer des épaules dans l'espoir fou de la rendre un brin plus confortable, tandis que ses poumons criaient à l'air frais.

De son côté, Owen semblait plus obnubilé par le port de pêche de la cité que ses températures incommodantes. Le cercle de racines mortes derrière lui ne l'intéressait plus, contrairement aux coraux géants qui dépassaient des eaux turquoise et s'étiraient sous le ciel azuré. De rares troncs, dénués de feuillage, s'ajoutaient à leur panel coloré passant par tous les tons chauds, ternes comme étincelants, tandis que la mousse locale d'un vert repoussant s'agrippait aux surfaces. Elle semblait préférer les toits de bambou des bicoques côtières ou les ponts de planches claires qui zigzaguaient au-dessus des eaux peu profondes.

Une simple semaine de voyage terrestre séparait Quavent de Lashinn, mais le contraste entre les deux villes restait néanmoins déroutant. Le bois n'était plus d'albâtre, mais d'ocre, tandis que la roche abandonnait cette couleur pastel pour devenir plus grisâtre. Sans compter cette chaleur étouffante.

— Trouvons un endroit où nous affranchir, clama Suren. Et éloignons-nous de ces racines.

Owen acquiesça dans un sursaut, marmonnant des mots incompréhensibles. Ses réactions jonglant entre émerveillement et crainte, au point de lui faire perdre pied, piquaient sa curiosité.

Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now