20 - « Lashinn »

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OWEN

Une voix douce et féminine se mêla à mes rêves. Pourtant, personne ne se tenait à mes côtés dans ce paysage imaginaire au-dessus duquel je flottais, sans ailes ni moteurs. Un timbre plus suave et masculin l'accompagna, mais ses paroles me paraissaient tremblantes. Je ne parvenais pas à comprendre ses mots chargés d'inquiétudes.

Curieux, je m'extirpai doucement de mes chimères et mes paupières s'ouvrirent sur un plafond miteux. Une larme de fatigue coula au coin de mon œil, tandis que je me redressai. Mon corps était aussi engourdi qu'après une longue nuit. Je m'étirai bruyamment, attirant l'attention de Suren et, plus déroutant, d'Isela.

— Elle nous est venue en aide, souffla le prince sans oser soutenir mon regard.

Sa cape sur le dos, solidement fermée à l'avant, il serrait le tissu entre ses bras comme de crainte qu'elle s'envolât. Ses poignets écorchés me tirèrent une grimace.

— Que s'est-il passé ? m'enquis-je en vérifiant mon propre corps.

— Vous avez foncé tout droit dans un repaire de contrebandiers et esclavagistes, m'informa Isela, tandis que je ne décelai pas la moindre éraflure sur ma peau. Ils vous ont assommés avec un gaz soporifique. Incolore et inodore, l'arme parfaite pour des vendeurs de vie.

Elle se leva et épousseta son short.

— Maintenant que tu es réveillé, nous devrions partir.

— Pour aller où ?

— Ailleurs, trancha-t-elle en forçant Sen à se redresser. Nous déciderons en chemin.

J'ignorais ce que ces escrocs avaient commis, mais à la mine blessée du prince, il en garderait un fort mauvais souvenir. Malgré ma curiosité, le questionner serait un douloureux affront.

— Comment nous as-tu retrouvés ? la questionnai-je en quittant la chambre.

Elle barra sa bouche d'un index, le regard froid, signe qu'il valait mieux se taire. Je grimaçai, mais n'insistai pas... pour l'instant. Le prince semblait plus prompt à la suivre sans dire mot depuis mon réveil et je comprenais qu'un repaire de bandits restait loin d'être propice à la discussion.

Au rez-de-chaussée, Isela déposa le cristal servant de clef sur le comptoir, sans adresser un seul regard au vieillard qui souriait toujours aussi chaleureusement. Les apparences étaient décidément bien trompeuses...

Dehors, le bleu du ciel troquait sa place contre un voile plus blanchâtre, signe que les lunes remplaceraient sous peu leurs frères diurnes.

— Allons dans le quartier ouest, lâcha Isela qui s'élançait déjà entre deux bâtisses de bambous tâchés de mousse. Il est davantage aux mains du peuple que des esclavagistes.

— J'imagine que nous ne discuterons qu'une fois arrivée à bon port ?

— En effet, me sourit Isela. J'aime bien ton jeu de mots en rapport avec cette ville.

— Il n'était pas volontaire.

Je coulai un regard à Suren qui nous suivait sans broncher, la mine basse, à la limite de la dépression.

— L'instant ne semble pas à la plaisanterie, ajoutai-je.

— Il s'en remettra. Il fait partie des rares privilégiés qui s'en sortent vraiment bien.

Je me passai d'opiner, comme d'argumenter, alors que j'ignorais encore trop de choses.

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Au fil de larges rues de terres battues et de branchages, Isela nous guida au travers des quartiers. Nous traversâmes un petit marché, dont j'admirai davantage la place de nacre et ses étals perchés sur des coquillages colossaux, plutôt que ses babioles et ses denrées. Je glissai néanmoins un œil aux animaux qu'un marchand vendait à la criée en cette fin de journée. Je reconnus l'étrange bestiole du prince, mi-libellule, mi-reptile, ainsi qu'un lot d'étrangetés déroutantes. Des écureuils à tête de champignon, des moineaux griffons à cornes de cerf, des lapins aux oreilles ailées, ou encore des chats dont une épaisse queue remplaçaient leu train arrière.

Ténèbres d'ImsheDonde viven las historias. Descúbrelo ahora