8 - « Duo fort plaisant »

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ISELA


La garde était aux aguets. Plus qu'à l'habitude. Les informations de Vendi ne pouvaient être que véridiques. La famille royale détenait une personnalité de poids dans ses cachots. Mais à l'image des riches qui les employaient, les gardes comptaient bien trop sur la réputation inviolable de leur prison. Tandis qu'un leurre les attirait dans les jardins, Isela les observa se ruer au grand complet hors des étages inférieurs et de l'unique porte qui en gardait les secrets. Il ne lui restait plus qu'à se faufiler discrètement derrière les hautes statues d'itakis guerriers.

Elle leva ses prunelles claires vers le visage d'une archère masquée, quand des pas résonnèrent au bout du corridor. D'un bond, elle se dissimula derrière ses jambes de pierre et scruta les nouveaux venus. Un itaki menait la marche, seules ses grandes oreilles félines, qui bombaient sa large capuche, permettant d'identifier sa race. Un poncho brun aux frises garancées dissimulait sa queue. Son pas leste et sa carrure légère laissaient entendre qu'il comptait probablement des traits jeunes sous cette tenue de voleur.

Derrière lui, Isela découvrit avec allégresse un mâle au physique atypique, son corps svelte maladroitement recouvert d'une vulgaire cape vieillie. Malgré ses muscles saillants, elle n'en douta pas un instant, il s'agissait du mage au portail explosif ! Tous dans ses traits puaient l'étranger.

Un confrère m'aurait-il doublé? s'inquiéta-t-elle.

Maintenant que cet itaki masqué l'avait libéré, elle possédait d'autant moins d'arguments pour convaincre l'étranger de la suivre.

— Les gardes ont des habits de rechange à l'entrée de la prison, clama le roublard à l'attention du magicien. Vous devriez y trouver quelque chose à votre taille.

Isela resta de marbre, tandis que le duo se rapprochait. Elle hésitait. Leur barrer la route et imposer sa présence au sein de leur compagnie ne lui apporterait probablement guère leur confiance... et certainement pas une collaboration enrichissante.

Que faire?

Le regard rivé sur les deux mâles, son esprit s'emmêlait au fil de doutes qui ne trouvaient nulle solution... quand le grincement des portes délimitant l'entrée de la prison manqua de la faire sursauter. Le magicien et son voleur se figèrent au centre du corridor, à une statue d'Isela, tandis que deux gardes brandirent leur lance à la pointe acérée.

— Plus un geste ! gronda le soldat au visage basané, surmonté d'une paire d'oreilles velues.

Isela lui trouvait un air fort mignon avec son nez droit et sa peau lisse. Elle avait toujours préféré les itakis qui n'affichaient que peu d'atours félins, contrairement à Énam, son acolyte d'enfance, qui portait avec fierté la tête d'une bête. Mais le moment n'était guère à admirer les lignes épurées d'un garde grassement payé pour protéger la famille royale qui abandonnait le bas peuple dans la famine et la boue.

— N'approchez pas ou bien l'envoyé d'Imshe usera de son pouvoir ! gronda le voleur.

Isela se raidit en découvrant la pierre noire qu'il brandissait à bout de bras.

Suis-je en plein rêve?

Non, elle était bel et bien éveillée.

Une illusion?

Impossible aussi.

La prison du palais empêchait son utilisation. Seule la magie élémentaire des saxums passait au travers de son voile protecteur. Elle avait devant les yeux une roche des ténèbres. Bien que Waba restât obscure, dissimulée dans les crevasses des montagnes, elle n'avait encore jamais vu une teinte si proche de la légendaire nuit de Limpis.

— Et si tu rabattais ta capuche ? murmura le mage à son compagnon qui menaçait la garde de sa pierre noire.

— Il en est hors de question.

Au bout de l'allée, les gardes ne percevaient pas leurs messes basses, contrairement à Isela qui tentait d'en comprendre le sens. En quoi révéler les traits de l'itaki à la voix suave convaincrait les soldats de les laisser s'enfuir ? Et pourquoi manœuvrer en ce sens ? La soi-disant magie clamée par le voleur n'était-elle qu'esbroufe ? Était-il lui aussi soumis aux contraintes du voile protecteur qui englobait le palais et, plus particulièrement, la prison ?

Sa magie de téléportation reste extrêmement rare malgré tout.

Sans compter son physique à la peau parfaite qu'Isela aimait tant chez les mâles. Qu'était-il donc pour n'afficher ni queue ni cornes, et encore moins de fourrure ou d'écailles ? Sa chevelure ténébreuse recouvrait de quelques mèches des oreilles rondes fort étranges qu'elle n'avait jamais vues auparavant.

Plus curieuse que raisonnable, Isela décida qu'il était temps de sortir ce beau duo de la menace des gardes. Son acte serait un début pour gagner leur confiance. Le mage paraissait faiblard en ces circonstances, mais il lui offrait la chance de donner du poids à son désir d'alliance.

Tel un éclair lumineux traversant l'aura dorée qui perçait à travers les hauts vitraux, Isela remonta la suite de statues et se glissa derrière les gardes. Ces idiots ne portaient pas de casques...

De la tranche d'une main, elle en assomma un premier d'un coup sec sur la nuque. Son compagnon d'armes fit volte-face, mais la jeune itakie l'envoya rejoindre lui aussi les dalles claires d'un coup de pommeau de son épée contre sa tempe. Il perdit connaissance avant même de lever sa lance d'un maigre pouce.

— Amateurs, siffla-t-elle dans un murmure.

Elle préféra chasser de sa tête la somme mirobolante que ces bleus gagnaient chaque jour...

La vie est injuste. Pas la peine de se le remémorer...

Elle rengaina sa lame et s'avança vers le duo de fuyards.

— Vous sembliez avoir besoin d'un coup de main, sourit-elle.

— C'est à cause de toi que l'alarme a été sonnée ! grogna l'itaki qui la menaça de sa pierre sombre.

Elle se retint de grimacer, tandis qu'il mettait le doigt sur le malheureux préjudice qui entachait son sauvetage.

— Suivez-moi ! Avant que d'autres gardes déboulent, clama-t-elle dans l'espoir de couper court au grief du voleur.

— Je connais le chemin pour sortir.

— Je croyais que vous n'étiez jamais sor...

Le magicien n'eut le temps d'achever ses dires. Son compagnon se jeta devant lui, un index tendu devant sa bouche en signe de silence absolu. Ce duo était fort étrange... se connaissait-il de longue date ?

Le moment n'est pas à creuser la question.

— Venez ! leur ordonna-t-elle en s'élançant vers les deux battants qui gardaient l'entrée du corridor.


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Ténèbres d'ImsheWhere stories live. Discover now