Article 8

2K 142 71
                                    




A l'issue de la Sélection, l'héritier au trône soumettra sa Dépendante à l'approbation du Roi.


    Bercée par le galop de mon cheval, Camille était à deux doigts de s'endormir sur le chemin du retour. Elle n'a pas dit un mot, perdue dans l'espace et le temps comme le serait un nouveau-né à sa naissance. Je l'ai portée jusqu'à sa chambre accompagné de Nicolas et à l'image de ma si mystérieuse dépendante, nous n'avons pas prononcé un mot. Nous étions complètement sonnés. Dans l'incompréhension la plus totale des événements qui venaient de se dérouler sous nos yeux.

    J'ai conscience d'avoir fait une erreur qui aurait pu nous coûter bien plus que ma crédibilité au sein des Sept Royaumes. J'ai mis Camille en danger en souhaitant pourtant faire le contraire. Si sa cape était tombée, si Nicolas n'avait pas agi exactement comme il le fallait, Camille aurait été chatiée du royaume d'Avia et mon titre d'héritier n'y aurait rien changé. Dans le meilleur des cas, elle aurait été exilée à Pariendi, mais dans le pire... Elle aurait fini à la place de cette vierge, un poignard en son sein.

    Je n'ai pas pu dormir, mes mains ne cessaient de trembler. J'ai pris une mauvaise décision, tout le monde m'avait prévenu. Mon impulsivité n'est pas digne de ce royaume, ni de celui-ci, ni d'aucun autre. Un jour la couronne se posera sur ma tête et le peuple se prosternera devant moi avant de s'indigner d'avoir un souverain qui ne croit en rien sinon en la révolte et au changement. Le peuple a-t-il envie de changer ? Ne serais-je pas exactement le même que père en imposant à mes sujets un changement qu'ils ne souhaitent pas ?

    Ce matin encore, alors que la nuit est derrière moi, j'en doute. Les Dieux oubliés m'ont oublié, ils dorment dans la mer qui longe Vi.

    Et même si les femmes souhaitent la liberté —bien qu'elles n'en aient pas conscience pour la plupart—, les hommes, eux, n'en feront rien. Je ne prendrai jamais une décision qui ravira les Sept Royaumes. Je serai raillé, hué et mis en danger par de nouveaux rebelles qui n'existent pas encore à ce jour. Et moi qui clame haut et fort que les femmes ne doivent plus être soumises à notre dépendance, voilà que mon esprit complexe se met à désirer que celle que j'ai choisie me considère comme son protecteur.

— Tu as raison sur un point, commence Nicolas en descendant les escaliers en colimaçon qui mènent aux chambres, ton esprit est complexe.

    Ce n'est pas un compliment, pas une manière détournée de dire que je suis intelligent, juste une critique discrète sur la folie constante qui m'habite. Quand Nicolas hoche la tête en s'appuyant contre l'encadrement de la porte du premier salon, je sais que j'ai raison. La folie m'habite autant qu'elle règne sur les Sept Royaumes.

— Tu seras un bon roi, tu sais pourquoi ?

— Parce que je n'ai pas le choix ? j'ironise, fatigué.

— Parce que tu te remets en question, tous les jours. Il n'y a pas une fois où tu n'as pas regretté une mauvaise décision en t'appuyant sur ton rang. Tu aurais pu le faire, tu as tous les droits. Mais tu as toujours voulu devenir quelqu'un de meilleur et c'est pour ça que tu me laisses être à tes côtés malgré le fait que je puisse lire ton esprit.

— C'est uniquement pour me déculpabiliser que je fais ça, Nicolas.

    Il s'avance et se met à jouer avec le cavalier du jeu d'échecs qui traîne sur la table basse en bois.

— Non, tu essaies de faire cohabiter la meilleure et la pire partie de toi-même. Et tu espères que je t'y aide en te disant que la meilleure prend le pas sur la pire. Hier, tu étais de la trempe de ton père. Tu réfléchissais en fonction de tes désirs, tu voulais qu'elle se soumette, qu'elle te supplie de partir et qu'elle prenne conscience qu'elle a besoin de toi, qu'elle te soit redevable.

DÉPENDANTES [ L'émeraude des Sept Royaumes ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant