Article 34

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Sa Majesté, par sa toute puissance, est seul décisionnaire du sort des citoyens des Royaumes. Ses ordres ne peuvent être contestés, même s'ils dérogent à l'Ordre. 


Je galope dans les plaines à vive allure, poussant mon cheval dans ses retranchements en espérant qu'il tienne la cadence jusqu'au château du Roi.

J'ai laissé Camille sous la protection de Quentin, lui faisant promettre de la ramener au manoir et de la garder auprès de lui jusqu'à mon retour. Je ne sais pas quand je reviendrai, ni dans quel état. Ce n'est pas une visite de courtoisie.

Ma haine déborde.

Toute la rancœur que je voue à mon père depuis que j'ai vu le monde est prête à prendre la forme qu'il lui plaira quand je me retrouverai face à lui.

Je n'attendrai pas mon couronnement pour le mettre à terre, quand bien même il approche à grands pas.

Lisa ne mérite pas l'exil.

C'est une femme formidable.

Un lutin au caractère bien trempé qui en fait voir de toutes les couleurs à ses proches, certes, mais une sœur pour moi. Elle est ma meilleure amie. J'ai conscience de m'être éloigné d'elle depuis que j'ai rencontré Camille et culpabilise, mais elle n'en reste pas moins ma meilleure amie. Elle a toujours été là. Elle m'a fait rire aux éclats, elle et ses histoires déroutantes qu'elle racontait sans aucun complexe.

Elle est la liberté. La femme qu'elles aimeraient toutes être.

Je regrette que Camille n'ait pas pu apprécier son personnage mais je ne me voile pas la face ; j'en suis le seul fautif. En mettant mon amie en retrait, je lui ai laissé le droit de détester Camille et d'en être jalouse.

Aujourd'hui Lisa est condamnée. Elle est sans doute bientôt arrivée au port qui se situe au sud d'Avia et je ne donne pas cher de sa peau lorsqu'elle aura embarqué sur le bateau. Combien de temps me faudra-t-il pour convaincre mon père ? Admettons que j'y arrive, sera-t-il possible de rejoindre la rive avant que le bateau prenne le large ?

Par tous les Dieux, c'est impossible.

J'accélère la cadence, mon cheval souffle.

Je ne me suis jamais rendu à Pariendi, j'ignore ce qu'il s'y passe. Selon mon père, c'est une terre de misère et de désolation où la neige et la glace règnent en maîtres quelle qu'en soit la saison. Il n'y a que des esclaves, des rebelles, des effrontés et des protecteurs indignes. Des gens comme ma Lisa.

L'immense pont se dessine devant moi et je le traverse sans ralentir, me satisfaisant des bruits de sabots qui martèlent les pierres.

Arrivé dans la cour, je me jette à terre en grimaçant quand le froid qui a engourdi mes pieds me rappelle à l'ordre. J'hurle qu'un palefrenier daigne me rejoindre, refusant de perdre une minute. Un jeune homme trottine vers moi le regard hagard, il saisit les rênes de mon cheval.

— Donnez-lui de l'eau.

Le garçon hoche la tête sans oser croiser mon regard que je sais terriblement noir. J'ajoute :

— Et des carottes. Donnez-lui beaucoup de carottes.

Il disparaît aussi vite qu'il est venu, me laissant seul devant les immenses portes en bois. Personne ne m'attend sur le perron. Je remets ma chemise correctement et gravit les marches avant d'entrer sans frapper, la rage au ventre.

Dans l'entrée, mon père m'attend.

Debout, droit comme un I, je n'ai aucun doute quant au fait qu'il savait que je viendrais.

DÉPENDANTES [ L'émeraude des Sept Royaumes ]Where stories live. Discover now