DÉPENDANTES [ L'émeraude des Sept Royaumes ]

Article 29

La liste non exhaustive des excès permis durant la lune vermeille est la suivante : badinage avec d'autres dépendantes, tromperie, prise de substances psychotropes, violence bénigne n'entraînant ni la mort, ni la mise en danger de la vie d'autrui.

    Le soir de la lune vermeille, tous les Royaumes sont en fête. C'est devenu bien plus que la célébration des Dieux. Ce soir-là, tous les excès sont permis. Les cavistes se remplissent les poches, le vin chaud coule à flot à Prima et les fleuristes perdent la tête devant les effusions de bons sentiments des protecteurs —alors que ceux-ci espèrent tout au plus une gâterie consentie de leur dépendante.

    Lisa a insisté pour que nous nous rendions à la capitale, et, bien entendu, j'ai refusé. Son caprice m'a laissé de marbre. Nous regarderons la lune vermeille depuis la Braise, dans la grande salle qui nous donne le loisir de contempler les étoiles quand la grande paroi vitrée n'est pas couverte d'aiguilles de pins. Il n'y a pas d'autres endroits où je souhaite être ce soir.

    C'est la première année où Camille sera à mes côtés. Cette particularité rend la fête bien plus attrayante. Pourtant, quand je lui ai annoncé que nous allions à la Braise, la candide n'avait pas l'air ravie. Pour être honnête, elle a même exprimé très clairement son mécontentement.

    Et si elle aime l'obscurité et l'ambiance qui règne dans les souterrains de la Braise, Camille n'aime pas Lisa —l'inverse est vraie aussi.

— Qu'est-ce que cette soirée a de si particulier ? me demande Camille une énième fois, tandis que nous entrons dans le petit chalet qui ne paie pas de mine, avant de gagner les immenses souterrains.

    Je m'empare de sa main pour ne pas la perdre dans la foule et nous fraie un chemin parmi les corps mouvants et les cris. La soirée n'a même pas encore commencé que les débordements se font sentir.

— C'est la célébration des Dieux.

— Tout le monde ici croit aux Dieux ?

— A part Quentin, vous voulez-dire ?

    A ma connaissance, Quentin est le seul croyant de mon entourage. Pour le reste... Il s'agit simplement d'une excuse pour faire la fête et s'aimer à la vue de tous.

— S'aimer ? demande Camille, lisant encore une fois dans mon esprit.

    J'ouvre la porte qui mène à mes appartements et la pousse à l'intérieur, puis soupire, soulagé d'avoir échappé le temps d'un instant à l'effervescence des habitants de la Braise. J'ôte le bouton le plus haut de ma chemise et respire enfin.

— C'est lors de la lune vermeille que le soleil a donné à la Déesse de la nuit un être à aimer, c'est ce que nous célébrons ce soir.

— Je croyais que nous célébrions les Dieux ?

    Camille lâche ma main et s'assoit au bord du lit, me rappelant avec douleur la dernière soirée que nous avons passée ici, tous les deux.

— Nous célébrons l'amour, à travers les Dieux.

— Est-ce comme cela à la Capitale ?

    J'étouffe un rire devant sa question bien trop naïve. Le jour où les Royaumes fêteront l'amour, j'en serai le souverain.

    Bientôt, donc.

— Ils fêtent la renaissance, la gloire au Roi et le contrat qui les lie à leur dépendante. Ils vont boire jusqu'à plus soif, raconter des blagues graveleuses et espérer passer une nuit de débauche dans les bras d'une autre femme qu'ils finiront par violer avant d'être graciés par les Dieux.