Article 24

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L'éducation religieuse des Dépendantes dépendra des propres croyances des Protecteurs. Il leur reviendra de leur apprendre la légende de la Nuit en respectant la censure instaurée par l'Ordre quant au cas de la Déesse de la Nuit.

    Le froid me fouette le visage, rougissant mes joues et celles de Camille. Nos chevaux soufflent en faisant marteler leurs sabots sur les pavés de la capitale. A côté de moi, ma dépendante est belle, fière sur sa monture. Elle a la grâce des Dieux et l'allure d'une reine, son silence attise le mystère qui l'entoure, si bien que je dois me concentrer pour ne pas me perdre dans ses yeux ou les mouvements fluides de sa cape qui vole au vent derrière elle.

— Nous arrivons.

    Elle relâche les rênes et gratte l'encolure de son cheval, lui offrant un sourire comme s'il pouvait la voir. S'il ne peut pas, moi oui et je donnerai cher pour être à la place de la bête.

— Vous a-t-on déjà parlé de Prima ?

— Je connais l'histoire des Sept Royaumes, j'en connais la capitale.

— Que vous a-t-on dit ?

— Que c'est la capitale.

    Elle fixe un point au loin, entre les badauds et les magasins qui longent la route. Camille n'a jamais vu de villes, villages ou quoique ce soit qui s'en rapproche. Elle est là, marchant au pas au milieu d'un tout qui lui est étranger.

    J'ai tant à lui apprendre, à lui faire découvrir.

    Autour de nous, c'est l'agitation. Nous sommes au milieu de l'artère principale de Prima, celle où les commerçants flairent les clients en agitant leur camelote sous leur nez, où les enfants courent dans les rues au milieu des vendeurs de journaux et de cigarettes. Il y a des protecteurs et des dépendantes, des petits garçons mais aucune petite fille. Pas de couettes qui virevoltent dans cet air glacé, pas de tresses, pas de sourires mutins accompagnés de leurs petites robes sages.

    La tristesse de ce monde gouverné par les hommes se fait sentir jusqu'au cœur de la ville et j'ai beau regarder autour de moi, j'ai l'impression que ça ne manque à personne. L'injustice est devenue la normalité.

    Les garçons jouent aux billes dans la rue pendant que les filles grandissent à l'Institut, coupées du monde. Ces mêmes garçons auront un jour vingt-six ans, et viendra leur tour de choisir celle qu'ils pourront amener badiner dans les rues de la capitale comme je le fais aujourd'hui.

    Un chenapan court entre les sabots du cheval de Camille et s'échappe dans un éclat de rire. Elle le suit du regard, les yeux ronds.

— L'innocence des enfants n'est pas celle que vous avez connu.

    Son silence me glace, je n'ose plus le briser. Je tapote des talons les flancs de mon cheval et reprend la route, slalomant entre les citoyens des Royaumes.

    Il n'y a pas de neige dans l'allée, juste des flaques de boue dans lesquelles les enfants sautent. Camille les regarde avec intérêt. A-t-elle eu déjà eu le loisir de s'amuser de cette façon ? A-t-elle déjà eu le droit de s'amuser ? Je veux la voir sauter dans une flaque et salir sa robe.

    Doucement, l'agitation se calme et nous laissons derrière nous les commerces les plus fréquentés pour des coins davantage intimistes. Camille tire les rêves et regarde une petite librairie, la bouche en cœur.

    Derrière la vitrine, des dizaines de livres de toutes les couleurs sont disposés en attendant de trouver preneurs.

— Vous lisez ?

DÉPENDANTES [ L'émeraude des Sept Royaumes ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant