DÉPENDANTES [ L'émeraude des Sept Royaumes ]

Article 11

Il appartiendra au Protecteur de jouir de sa Dépendante comme il l'entend, selon ses propres désirs, volontés et préférences.

Dans la cuisine du manoir, j'assiste au spectacle presque dégoûtant de Quentin en train de se faire un sandwich avec plus de mayonnaise que de jambon. Trop concentré dans sa tâche ô combien importante, mon ami ne daigne même pas m'accorder un regard, ce qui n'est pas plus mal.

En effet, quand celui-ci se décide enfin à lever les yeux vers moi, je comprends vite que les rougeurs que j'y vois n'ont rien à voir avec une quelconque sensibilité.

— T'as fumé ?

— J'ai faim, me répond-t-il simplement en croquant dans son sandwich que même un exilé ne voudrait pas goûter.

— Par tous les Sept Royaumes, t'es défoncé.

— Et ça te surprend ? Comment veux-tu compter sur un homme qui vit dans un monde parallèle la plupart du temps ?

Nicolas s'avance vers moi, ses yeux bleus légèrement plissés comme s'il avait l'air inquiet. Il l'est, je le sais, mais pas pour les bonnes raisons.

    Nicolas déteste Quentin.

— Nicolas, ça suffit.

— Alors fous le dehors, il est drogué.

— J'ai fumé un joint, un seul. J'ai toute ma tête, en revanche toi... Je t'en roule un si tu veux.

— Fais-le sortir, me supplie presque Nicolas, les poings serrés.

A chaque fois, c'est la même histoire. Je sers de tampon entre les deux et ne sais plus comment me dépêtrer de leurs disputes incessantes. Hors de question pour moi de me séparer de l'un des deux, ils sont complémentaires.

Là où Nicolas est droit et discipliné, prêt à tous les sacrifices pour servir la cause, Quentin est un électron libre. Il est celui que la Braise adule, trouvant dans sa personnalité la liberté à laquelle ils aspirent tant. Quentin est un leader malgré lui, le genre à se moquer royalement du statut qu'on lui donne, tant qu'il peut continuer à faire des blagues et tester de nouvelles herbes aux vertus diverses et variées.

— Vous avez raison, ce sandwich est vraiment pas bon, crache Quentin en s'essuyant la mayonnaise qui coule au bord de sa bouche. Les bites c'est bien meilleur.

— Valéryan ! hurle Nicolas, un doigt vengeur pointé vers le provocateur.

Le vrai problème n'est pas la différence entre les deux énergumènes, mais bien la capacité incroyable qu'à Quentin à pousser à bout mon ami.

Quentin est un effronté, il fuit les communicants comme la peste pour ne pas se retrouver à Pariendi, sans ses couilles. Il a trouvé refuge à la Braise depuis quelques années et affiche fièrement son homosexualité, il est un peu devenu le symbole de cette communauté.

Il n'y a pas de place pour l'homophobie dans la révolte, mais allez expliquer à un homme qui a passé son adolescence à apprendre à détester les effrontés qu'il doit maintenant se lier d'amitié avec l'un d'entre eux —pas le plus discret, qui plus est. Ce serait comme demander à un loup de jouer aux cartes avec un agneau.

Pourtant le réel problème n'est pas que Nicolas déteste Quentin.

Mais plutôt que Quentin est attiré par Nicolas.

Cela aurait pu être un secret ou quelque chose que l'on chuchote comme un murmure, mais c'était sans compter la capacité gênante du communicant à lire vos pensées. C'est ainsi qu'il a rapidement compris que la brebis s'était éprise du loup, et qu'elle n'avait pas seulement envie de jouer aux cartes.