Article 14

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Les sanctions pour insubordination légère seront l'isolement ou les sévices, qu'elles soient psychologiques ou corporelles.


    La première chose qui me frappe dans cet endroit, c'est le manque de luminosité.

    Depuis toute petite, je suis habituée aux murs blancs, à une lumière éclatante et à avoir mal aux yeux à la fin de la journée. L'Institut était un endroit fait pour nous éblouir avec du blanc, rien que du blanc —partout.

    J'ai déjà eu du mal à m'acclimater à l'extérieur et à toutes ces couleurs clinquantes qui m'en mettaient plein les yeux. Je ne pensais pas pouvoir être éblouie d'une autre façon et pourtant... La diversité du monde me fascine autant que les aiguilles de pins en automne. Mon admiration s'est étendue à chaque couleur, peinture ou encore nuance que mes yeux découvraient.

    Je suis sortie de l'Institut et j'ai vu autre chose que les pins et les sentiers sinueux de la forêt d'Ember, que je parcourais durant mes courtes fugues.

    La nouveauté était si grande que je me suis dit que rien ne pourrait me surprendre davantage.

    J'avais tort.

    Cet endroit est différent. Il est sombre, mais rassurant. Je ne saurai expliquer ce que je ressens à ce moment précis tellement ce sentiment m'est inconnu. C'est comme se blottir sous la couette duveteuse de mon lit en entendant la pluie battre sur les volets.

    Je ne saurai donner un nom à ce qui emplit mon âme, juste dire que cela est agréable. Que l'obscurité du bois omniprésent me plaît, que les petits lampions qui parsèment la pièce me semblent parfaitement disposés, que la musique qui se diffuse dans la pièce me berce. Et même s'il y a du monde, je parviens à tout oublier pour me concentrer sur le rien de cette ambiance hors du temps qui me fait me sentir bien.

    Je m'éloigne de mon protecteur sous le regard méfiant de Nicolas et m'en vais caresser les murs en rondins du bout des doigts —c'est comme s'ils m'appelaient. Une écorce vient enfoncer une écharde sous mon pouce et cela m'est bien égal, je continue ma découverte.

    Chaque partie du mur, chaque infime partie du mur, est différente. Je trouve cette imperfection satisfaisante, comme si elle était voulue pour épouser parfaitement le décor.

    Bien incapable de me décoller du mur et de toutes ces nouvelles choses que j'ai envie de toucher les unes après les autres, j'ignore les airs médusés des autres qui s'agglutinent autour de l'entrée pour me saluer.

    Mais quand je m'apprête à prendre dans ma paume un des lampions chauds qui pend au plafond, l'héritier me sort de ma transe un peu particulière :

— Camille ?

    Je lève les yeux vers la provenance de la voix, regardant l'héritier comme si je venais de me réveiller d'un long sommeil. Il me tend une main que je ne saisis pas, encore trop vexée de sa réflexion précédente.

    Et puis, n'a-t-il pas dit que j'étais libre, ici ? Libre de choisir, de penser... de refuser la main qu'il me tend ?

    Il me fixe, hausse un sourcil interrogateur et baisse sa main en faisant semblant d'épousseter son pantalon qui ne souffre d'aucune poussière.

    L'égo des hommes des Royaumes a ses raisons que la liberté des femmes ignore.

— Camille, je vous présente Arlette, c'est la tenancière des lieux.

    Je m'approche à pas de loups, découvrant peu à peu le visage fripé de cette femme que le temps n'a pas épargné. Impossible de lui donner un âge, peut-être cinquante, peut-être quatre-vingts. Je n'ai jamais été doué pour ce genre de devinette.

DÉPENDANTES [ L'émeraude des Sept Royaumes ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant