Article 36

801 79 18
                                    




Les Royaumes prévalent sur la Couronne. Seuls les Dieux seront maîtres du jugement dernier de Sa Majesté le Roi.


La matinée est passée à toute vitesse. J'ai écouté ma mère me parler avec passion du combat des Foxward, de cette espèce de mise en abyme de la rébellion que je n'aurai pu imaginer même dans mes rêves les plus fous. Mon côté pragmatique me hurlait de remettre en question la moindre de ses paroles mais cela m'était impossible.

Elle parlait avec passion, accompagnant son histoire de gestes enjoués et de sourires révélateurs d'une vérité que personne ne pourrait remettre en question. Ce n'était plus Catherine, la dépendante du roi, mais Catherine, la femme puissante qui agit dans l'ombre d'une société qui la méprise.

Je l'ai écouté sans oser l'interrompre, pendant des heures qui m'ont paru des minutes.

J'ai entendu tout ce qu'elle avait à me dire, du sacrifice d'Elisabeth à l'héritage secret de la dynastie des Foxward. Ce secret qui m'a coûté mon enfance, sa maternité et toute la complicité que nous ne rattraperons jamais. Je n'arrive pas à le lui reprocher et ne pourrais jamais le faire sans m'en sentir coupable. Tout simplement parce que je ne sais pas si j'aurai été capable de tant de résilience face au fléau de notre monde.

Ma famille n'a jamais été pour l'esclavage des femmes, personne ne l'a jamais souhaité, que cela soit à Vi, Avia, Ursa, Pariendi, Tutela ou encore Cepa. C'était une mesure radicale qui semblait nécessaire et qui a sauvé des milliers de vies il y a de cela deux cents cinquante ans. Là encore, je ne peux le reprocher à personne. Les idiots diront qu'ils auraient fait un meilleur choix, qu'il y a toujours d'autres possibilités et que les rois de l'époque se sont contentés de la facilité. Moi je pense que le mieux est l'ennemi du mal.

Le problème dans cette histoire, c'est que mon combat perd tout son sens.

— Du thé ?

Mon père revient dans le salon avec trois tasses qui tiennent en équilibre dans une main et des petits gâteaux qui sentent la cannelle dans l'autre. Il n'a pas appelé une de leur femme de maison pour préparer la collation et ne s'est pas rebiffé contre sa dépendante qui parlait trop pendant qu'il s'affairait à la cuisine.

Il est allé faire les tâches des domestiques comme si c'était normal, tout en souriant quand ma mère s'extasiait en racontant une énième fois comment elle était heureuse d'enfin pouvoir être elle-même devant moi.

J'hoche la tête et prend le relai pour faire le service, profitant de ce moment de silence pour faire le vide dans mon esprit.

Je n'abandonnerai pas le combat. Les femmes ne peuvent payer pour la bêtise des Hommes, et si je ne peux faire mieux, alors je ferai différemment. L'avantage certain que nous détenons aujourd'hui, c'est que le roi est de notre côté et qu'il nous sera d'une grande aide. Pour le reste... nous finirons par trouver.

J'ai fait une promesse à Camille et je compte bien la tenir. Je la libérerai, elle et toutes les autres.

Ma mère reprend la parole et commence une nouvelle histoire saugrenue sur la légende de la nuit avant que mon père l'interrompt avec douceur :

— Cathy, tu ne crois pas qu'il a milles et unes choses à penser après ce que nous venons de lui dire ? Les Dieux peuvent attendre.

Elle se renfrogne, puis m'offre son plus beau sourire :

— Tu as raison, j'ai toujours eu tendance à brûler les étapes.

— C'est ton caractère qui t'a mis sur ma route, jamais je ne te le reprocherai.

DÉPENDANTES [ L'émeraude des Sept Royaumes ]Where stories live. Discover now