Article 39

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Brûlez



Camille

Pendant les vingt-quatre premières années de ma misérable vie, les matins ont tous été les mêmes.

Je me réveillais à l'aube et m'habillais de mon éternelle robe écrue qui m'arrivait jusqu'aux pieds. Je revêtais mes chaussures douloureuses, ma grimace des jours qui doivent sembler heureux et écoutais d'une oreille distraite mes précepteurs me dicter le moindre de mes faits et gestes.

J'étais un pantin, une poupée désarticulée qui apprenait à dire oui même quand le non était une évidence.

J'acquiesçais.

Je ne savais faire que cela.

Je n'avais appris qu'à faire cela.

Et quand j'avais le malheur d'exprimer mon désaccord d'une manière ou d'une autre, la punition qui suivait était des plus cruelles.

On m'enfermait dans une pièce blanche jusqu'à m'aveugler.

On me frappait.

On me brûlait.

Tous les matins, mes précepteurs me cassaient puis me réparaient. Ils attendaient de moi que je fonctionne comme toutes les autres, que j'écoute et courbe l'échine.

Je ne l'ai jamais fait.

Ma plus grande vertu a été ma patience. Mon âme tout entière savait qu'un jour, je me vengerai. C'était inscrit quelque part dans l'histoire qui était la mienne, je ne pouvais me résoudre à une vie de misère au bras d'un protecteur peu scrupuleux.

Je n'aurai jamais cru un jour être choisi par quelqu'un comme Valéryan Foxward. Je ne voyais pas les protecteurs de cette manière, et jamais je n'aurais imaginé pouvoir m'attacher à l'un d'eux —ni apprendre à leur faire confiance.

Pourtant je l'ai fait.

Encore une fois, j'ai eu tort.

Je ne saurai dire s'il s'agit que d'une forte attirance physique ou si ce qui nous lie appartient plus au destin qu'au hasard d'une belle rencontre, mais je me suis fourvoyée en croyant qu'il m'apporterait la liberté dont j'ai tant besoin.

Ses promesses s'éparpillent dans le vent et son amour n'est, à la lumière du jour, que l'ombre de sombres lendemains.

Je souffre de ses mensonges.

Aujourd'hui, assise devant le roi à écouter ses déblatérations plus que douteuses sur le but de sa vie encore plus misérable que la mienne, je comprends que mon protecteur ne tient plus à faire tomber le roi —mais bien plus à lui faire confiance.

C'est pour cette unique raison qu'il m'a demandé de l'accompagner au château. Pas de vendetta, pas de meurtre de sang-froid, de torture ou d'aveux forcés. Valéryan place tous ses espoirs dans le pardon que je pourrais accorder à son père.

Son père, celui-là même qui a toléré toutes les injustices qui ont fait ma vie et celles de toutes les autres femmes qui ne rêvent que de liberté —ou qui aimeraient en rêver si elles savaient seulement de quoi il s'agit.

Son père, ce de roi qui m'a regardé de haut, refusant de m'adresser la parole tellement je n'étais qu'une créature soumise et détestable à ses yeux.

Son père, ce roi, souverain de Royaumes qui souffrent de toutes les injustices que la dynastie des Foxward a bien voulu mettre en place pour ce qu'ils appellent sans honte aucune, « le bien commun. »

DÉPENDANTES [ L'émeraude des Sept Royaumes ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant