Chapitre 28

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Date de rédaction : 14/04/2023

Définition de « toucher le fond » :

Être au plus mal, au bord de la déchéance, se heurter à une situation désespérée, ne plus voir d'espoir, pas même une issue favorable. Ouvrir les yeux, croire à un miracle, tourner la tête et contempler les barreaux qui me rappellent à quel point je n'ai plus d'avenir.

Il s'agissait de l'aboutissement inévitable. Ce que l'on gagnait à force de jouer avec le feu. J'étais brûlée en quelque sorte. Meurtrie tant dans ma chair que dans mon âme. Mes rêves se teintaient de sombres souvenirs, d'images indélébiles et mes pensées de m'épargnaient pas, car en fermant les yeux, je revivais sans cesse le même cycle : l'explosion, le sourire d'Hana, les deux coups de feu, son sang répandu comme une flaque, le regard horrifié de Calixte, puis sa colère et enfin les flics qui m'embarquent. Une brève garde à vue et direction la case prison, accompagnée de tous les motifs possibles et imaginables. Mes rapineries commises par le passé en Italie n'avaient pas contribué à dorer mon portrait. Que ce soit ici ou ailleurs, ils avaient tous une dent contre moi. Et je les imaginais déjà se livrer à des chamailleries pour décider de qui aura le droit de s'emparer de la voleuse pour la juger en bonne et due forme. L'Angleterre me paraissait bien engagée pour remporter la bataille, ce cher Brian Lang, n'avait toujours pas digéré l'affront porté le mois dernier. Mais pour l'heure, je n'imaginais pas les Italiens me céder aussi facilement. Et puis coincée entre ces murs gris et bétonnés, coupée du monde, plus aucune information ne me parvenait, alors je ne pouvais que supposer. Peut-être que d'un jour à l'autre, je comparaitrais devant un juge. Une chose de sûre, après l'échec que nous venions de subir, je prendrais perpète. Calixte n'avait par ailleurs pas cherché à adoucir les tensions, furieux comme je ne l'avais encore jamais vu, prétexter qu'il m'avait poursuivi depuis Londres sous la direction d'Interpol fut sa meilleure idée pour se dédouaner de toute responsabilité. Ça lui aurait trop couté d'avouer qu'ils s'étaient servis de moi pour arriver à leurs fins. Et ça aurait surtout fait tache dans leurs journaux. On me désignait comme seule responsable dans cette affaire.

À présent, je me sentais en mesure de comprendre le vide qu'avait dû ressentir Louiza la nuit où je l'ai lâchement abandonné. Livrée à elle-même, blessée et terrorisée. Et moi, courant comme une folle dans les bois, mon sac à dos vacillant de droite à gauche, mon butin comblé d'amertume sur le point de changer mon existence. Je regrettais toutes les décisions prises ce soir-là.

Le pire, c'est que je n'ai pas tenu ma promesse. Quelque temps après, une fois les tensions redescendues, je suis retournée à Gérone. Pourquoi ? Aucune idée. J'avais espéré recevoir des félicitations et aussi convaincre Domingo de faire jouer ses contacts pour aider ma sœur à sortir de taule. Mais Domingo Aguilar s'était effacé du paysage espagnol, à l'égale d'un rêve, comme s'il n'avait jamais existé. J'avais découvert une maison vidée de tous ses meubles, la fontaine asséchée dans la cour, les fenêtres claquantes de part et d'autre sous les courants d'air. Et plus personne en mesure de m'aider. J'ai pris moi-même les rênes, consciente que je n'avais besoin de personne pour devenir qui je désirais.

J'ai bâti mon propre empire.

J'ai mis le monde à mes pieds, comme prévu.

Et aujourd'hui, je me sentais dépossédée de tout.

— À nous.

Tirée de mes pensées, je relevais les yeux vers la femme qui se tenait dans l'entrebâillement d'une porte. Je quittais ma chaise pour rejoindre le cabinet de l'unique médecin qui avait à sa charge des centaines de détenues.

Les paupières lourdes de fatigue, je me laissais tomber sur un tabouret en soulevant mon t-shirt, que l'on en finisse, et vite.

Je ne lui donnais pas plus de soixante ans, avec ses cheveux teintés de blond pour dissimuler les quelques intrus grisonnants. Béatrice, qu'on la nommait, elle portait toujours du maquillage criard digne de la mode des années soixante-dix. Et la plupart du temps, quand j'entrais dans son bureau, je découvrais la petite fenêtre en hauteur grande ouverte ainsi qu'une odeur persistante de tabac.

La Voleuse aux Mains d'Or - Tome 1 [TERMINÉ]Where stories live. Discover now