Chapitre 32

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Date de rédaction : 22/04/2023

Samedi 30 septembre, bientôt dix-huit heures, toutes les détenues ne tarderont pas à regagner leurs cellules. Il me restait encore un peu de temps.

— C'est ce soir, Jelle.

Mon amie se tenait là, sur le bord de son lit, le dos recourbé, le visage fermé et pensif. Elle tenait sa bible contre sa poitrine comme on s'accrocherait à un récif pour ne pas se laisser emporter par le courant. Jelle ne m'accorda pas une œillade. Ses dernières nuits furent courtes, déchirée entre sa foi et ses démons. Pour ma part, en lui tendant la main pour nous échapper ensemble, je gardais ma conscience tranquille. Certes, je n'étais pas une sainte. J'avais menti. J'avais manipulé dans le simple but d'arriver à mes fins. J'avais volé pour survivre. J'avais volé pour devenir quelqu'un. J'avais volé pour mon propre plaisir. Beaucoup de monde avait souffert par ma faute. Et je ne regrettais rien. Paradis ou enfer, quelle importance ? De toute manière, j'avais déjà côtoyé les deux. Je n'existais pas pour obéir aux règles. Je créais ma propre chance. Et ce soir, je décidais que plus aucune barrière ne me retiendrait. J'étais prête à tout pour remonter à la surface et en finir pour de bon.

— Que décides-tu ?

Son air navré croisa ma volonté de fer.

— Je vais rester si cela ne te dérange pas...

J'entendais dans sa voix autant de sérénité que de regret. Les prises de risque, ce n'était pas pour elle. Alors elle devrait attendre encore treize années pour s'offrir la rédemption qu'elle recherchait tant.

— Comme tu veux, souriais-je, j'aurais grand plaisir à te revoir un jour, en dehors de ces murs.

— Moi aussi Isis, moi aussi...

Elle le regrettait déjà, pourtant à aucun moment elle ne revint sur sa décision.

Je longeais le couloir qui menait au réfectoire sous l'œil attentif des caméras. J'espérais qu'ils me surveillent derrière leurs écrans, qu'ils ne louperaient pas une miette de ma mise en scène et qu'ils interviendraient à l'instant désiré. Il en allait de ma survie, car j'étais sur le point de me jeter dans la fosse aux lions. Et quelle palpitation !

Dans la salle assez grande pour y accueillir plus d'une centaine de détenues, le personnel veillait à servir les derniers plateaux-repas. Au menu : lentilles — en conserve à n'en point douter — et des tranches épaisses de jambon noyé dans une sauce douteuse. Mais je n'étais pas ici pour le repas. Mon regard balayait avant tout cette cantine de piètre qualité, à la recherche d'un visage familier et disgracieux. Cette chère Mae Pisani, étonnamment, j'avais besoin de sa présence pour que mon plan puisse fonctionner à merveille. Je l'avais observé pendant plus d'une semaine, je connaissais son caractère, ses manières et ce qui le sujet parfait pour la contrarier. Il me suffisait juste de ralentir le pas pour mieux la lorgner de travers. L'une de ses affidées me remarqua en première, elle s'empressa de donner des coups de coude à la meneuse qui releva aussitôt la tête. On se regardait dans le blanc des yeux, je ne bougeais plus, tandis qu'elle continuait interminablement de mâchouiller son bout de viande comparable à du caoutchouc.

— C'est quoi ton problème ?

Je lui adressais mon plus beau sourire de sympathie.

— Aucun, je me demandais juste si tu avais retrouvé tes cigarettes ?

Toute fière, elle se redressa sur sa chaise pour me prendre de haut.

— Bien sûr !

Maline, j'extirpais de ma poche le paquet vide de Camel que Jelle avait terminé deux jours plus tôt pour le lancer sur sa table. Les yeux exorbités, elle échangea plusieurs coups d'œil entre ma présence et celle de son paquet vide. Son visage prit la teinte de la colère avant même que son poing ne se fracasse sur la table pour se donner des airs de dur à cuir. Pour l'heure, les gardiens ne se préoccupaient pas de la querelle sur le point d'éclater.

La Voleuse aux Mains d'Or - Tome 1 [TERMINÉ]Where stories live. Discover now