Chapitre 46

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Date de rédaction : 03/07/2023

J'avais roulé, sommeillé sur la banquette arrière, mangé sur des aires désertes et encore roulé. Tout ça pour rejoindre au plus vite ma destination. Et voilà que j'arrivais. Mais en vérité, il ne s'agissait que d'une dernière étape, celle qui ne durerait pas plus de cinq minutes, ce après quoi je reprendrais la route pour rempiler sur des centaines de kilomètres jusqu'à franchir le seuil de mon chez-moi.

Exténuée, je me relaxais dans le siège, le coude appuyé contre la portière, la tête lourde penchant jusqu'à se reposer contre mon poing. Ces quelques dix heures de trajet m'avaient permis de me livrer à de profondes réflexions. Notamment sur la façon dont je comptais continuer à vivre. J'aimais la « voleuse aux mains d'or » à bien des aspects, mais plus j'y songeais, plus il devenait évident que cela ne durerait pas éternellement. Un ou deux vols par-ci par-là, pourquoi pas ? Juste pour le plaisir et l'adrénaline. Mais mon repaire pommé en haute montagne cachait assez de richesses afin de vivre sans peine pour au moins deux vies. À trop tenter le diable, celui-ci finit par nous tomber dessus. J'en avais fait les frais plus d'une fois ces derniers mois.

Les lumières nocturnes de la ville balayaient le tableau de bord jusqu'à remonter à mon visage, je bâillais sans retenue tandis que mon GPS annonçait la destination atteinte.

— Aure...

Cette voix semblable aux lamentations d'un chien battu m'arracha un soupir.

— Souviens-toi du bon vieux temps, toi et moi, contre le reste du monde.

Je coupais le moteur, m'accordant une minute pour observer les alentours, aucun passant, pas un œil de caméra, nous étions seuls, en même temps, au beau milieu de la nuit, je ne pouvais rêver mieux. J'attrapais ma gourde sur le siège passager pour me désaltérer avec quelques gorgées d'eau tiède. En allumant la petite veilleuse au-dessus de ma tête, je soulevais mon débardeur pour examiner la plaie en bonne voie de cicatrisation. Quelques démangeaisons de temps à autre, mais plus aucune douleur. En rentrant, je m'assurais d'ôter les derniers fils de suture comme Calixte me l'avait conseillé. Calixte... Je me demandais où il pouvait bien se trouver à présent. Chez lui, supposais-je, effondré de fatigue dans son lit, à maudire son retour dans cet appartement à l'espace si restreint, enviant la vie que je lui avais offerte pendant un court instant. Oui, voilà ce que j'imaginais, un pur idéal sans doute fantasmagorique.

— J'avoue, essayer de me la jouer solo était une erreur.

Oh oui, une grosse erreur que je ne pardonnerais pour rien au monde. Je contemplais mon reflet dans le rétroviseur intérieur, les cernes ne me rendaient pas hommage, malgré tout, j'attrapais mon rouge à lèvres pourprin afin d'en appliquer une fine couche. Non pas pour plaire à Falko dont les lamentations se succédaient dans le coffre depuis que j'avais quitté Monaco. Je ne désirais qu'être moi-même, ne rien laisser paraître, me montrer toute puissante lorsque je pousserais la portière.

— Putain Visconti ouvre ce coffre où je jure que tu boufferas assez de C4 pour te faire exploser en tellement de petits bouts qu'il sera impossible d'identifier tes restes !

La Land Rover trembla sous les coups déchainés de mon condamné.

— Charmant, murmurais-je en pressant mes lèvres pour bien étaler le rouge.

Enfin, je me décidais à sortir. Et quel soulagement ! L'air frais me réveilla, je fis craquer mes vertèbres autant que possible avant d'entamer quelques pas pour me dégourdir les jambes. Je pris une minute pour admirer le bâtiment de l'autre côté de la route. Un portail composé de deux impressionnantes tours crénelées posait l'ambiance, accompagné d'une double porte en bois haute de trois mètres, et d'un lion de profil gravé dans la pierre juste au-dessus. Bien qu'il ne s'agissait que d'une façade, je me plaisais à imaginer ce que pouvaient bien renfermer ces murs austères, et j'y parvenais sans grande peine.

— Aure espèce de...

Avant qu'il ne termine sa phrase, j'ouvrais le coffre, plus minable et chétif que jamais, Falko couvrit son visage par peur de recevoir un coup.

— Pitié Aure... implora-t-il en tendant les mains pour me toucher.

— Pas pour toi.

D'une poigne ferme, je me saisissais de son bras pour le tirer hors de son confort. Déboussolé, Reis regarda autour de lui, sans parvenir à identifier les lieux. À dix mètres, une porte claqua, j'aperçus un homme équipé d'une lampe torche entre les deux tours.

— On est où ?

Cette question m'arracha un rictus des plus mauvais.

— Alors tu ne reconnais pas ta propre ville ?

Il lui fallut une poignée de secondes pour comprendre que l'on se trouvait à La Haye. Les yeux bruns du criminel s'arrondirent alors que l'homme en uniforme allumait une cigarette avant d'engager le pas pour nous rejoindre. Pris de panique et d'une soudaine rage, Falko tenta de m'atteindre, il se rapprocha jusqu'à ce que je buter contre la voiture.

— Livre-moi et je leur dirais tout ! Ton adresse en Suisse, ton vrai nom...

Des menaces stériles.

— Mais qui t'écoutera ?

Le souffle coupé, tremblant d'une peur progressive, ses jambes vacillèrent et il tomba à mes pieds.

— Tu oublies une chose, ce n'est pas moi qu'ils recherchent activement depuis huit ans. Je me demande combien un ancien du groupe Hofstad peut prendre ? L'attentat au parlement n'arrangera pas ton cas.

Le gardien en « pause » m'offrit une poignée de main, en toute subtilité, ses doigts se refermèrent autour d'un rouleau de billets. Comprenant son sort scellé, j'avais imaginé qu'il tente une dernière fois de s'enfuir. Mais en fin de compte, je me souvenais d'une chose, Falko n'était pas moi, il ne connaissait pas l'art de l'évasion, à moins qu'il n'ait un explosif à portée de main. Mais là, il ne possédait rien, il était fini. Et il le comprit lorsque l'inconnu posa sa paume sur son épaule. Aussitôt, le traitre se jeta sur mes talons.

— Aure... Je t'aime !

Il écrasa ses lèvres pouilleuses sur le cuir de mes chaussures. Un relent de dégout me souleva. Bon débarras !

— Il y a même une salle de fitness, tu vas t'y plaire ! lui lançais-je en contournant ma voiture pour rejoindre le volant.

Et voilà la façon dont Falko Reis disparu, trainé comme un chien vers le centre de détention de Scheveningen, implorant de toutes ses tripes son désir de poursuivre notre aventure, terminant par me maudire de toute son âme. Ils sauront bien inventer un mensonge pour expliquer son arrestation aussi soudaine qu'inattendue. Pour ma part, je ne me soucierais plus de lui.

Je pouvais enfin rentrer chez-moi.

La Voleuse aux Mains d'Or - Tome 1 [TERMINÉ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant