Chapitre 45

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Date de rédaction : 03/07/2023

L'air frais m'arrachait des frissons désagréables, le vent fouettait mon visage si bien que j'avais fini par rattacher mes cheveux pour ne plus m'incommoder. L'aube pointait à l'est, j'avais bon espoir qu'il m'apporte un peu de chaleur. La fatigue jouait beaucoup, à passer des heures en mer, ma peau collait à cause de l'humidité et du sel, je commençais à envier le confort d'un lit douillet accompagné d'une couette épaisse.

— Finalement, ce n'est pas si compliqué que ça.

La voix de Cal me sortit de ma rêverie, dans l'obscurité où seule sa silhouette se détachait de la commande éclairée entre ses mains.

— Tenir la barre ne signifie pas manœuvrer un bateau.

Il me toisa d'un œil par-dessus son épaule.

— Ne gâche pas mon plaisir s'il te plait.

Les tensions s'étaient dissipées, comme un solide nœud au bout d'une corde enfin déliée, malgré mon inconfort, je me sentais légère, l'instant pourrait s'éterniser que cela ne me poserait aucun problème. Je ne pensais pas à demain, j'ignorais les retombées qu'allait causer cette nuit agitée. Les journaux parleront-ils de nous ? Ou bien le gouvernement passera sous silence tout élément susceptible de salir son image. Que ce soit l'un ou l'autre, cela ne m'importait pas, je serais bientôt chez-moi, Aure Visconti reprendra ses habitudes en solo. Quel serait son prochain vol au juste ? Un tableau ou bien des photos compromettantes, j'allais devoir me pencher sur les demandes de ma clientèle. Non, un diamant ! J'aime bien les diamants. Vivement, je me redressais, avec cette magnifique idée en tête. Il me fallait quelque chose de difficile, quelque chose qui me ferait suer, une tâche complexe à première vue, mais trop simple pour la grande voleuse.

— C'est quoi ce sourire béat, à quoi penses-tu ?

— Rien qui ne te plairait, renchéris-je sans parvenir à cacher mon euphorie.

Pour le soulager, je repris la barre. Il nous restait deux heures pour atteindre la côte française. Avant de regagner la mer, j'avais beaucoup discuté avec Calixte. Gabriela et Falko enfermés dans le bureau pour avoir la paix, nous avions partagé une coupe de vin blanc. Difficile de savoir si c'était pour célébrer notre victoire ou bien nos adieux tout proches, quoi qu'il en soit nous avions profité autant que possible. Et à présent, le sentiment me prenait de ne plus savoir quoi lui dire. Cette semaine fut intense, non, je dirais même ces deux derniers mois. Aussi étrange que cela puisse paraître, j'avais du mal à imaginer un retour à la normale.

— Voleuse...

Surprise, je me tournais vers Cal, il avait ramassé le sac à dos, et voilà qu'il me le tendait, grand ouvert et vide de tout matériel. Les sourcils froncés, son humeur changée, le rideau tombé sur le demi-sourire qu'il conservait depuis notre départ.

— Donne-moi le disque.

Ah... Évidemment, il ne pouvait s'agir que de ça.

— Navré, mais je refuse.

— À quoi tu joues ?

Je me doutais bien que cette nouvelle n'allait pas le ravir.

— Je ne joue pas.

— Elle va le garder pour elle, railla une voix faible, presque oubliée dans son coin. L'appât du gain, elle ne connait que ça.

— On t'a pas sonné, grondais-je en direction de Reis.

Ce dernier n'ajouta pas un mot, malgré tout, il conservait sans cesse ce petit air condescendant, comme s'il avait gagné. Alors qu'en vérité, il se trouvait là, plus pitoyable qu'un clébard, du sang séché le long de son nez tordu. Il me supplierait bientôt de lui épargner tous les désagréments que je lui réservais.

— Très bien, soupira Cal en levant les mains en signe de capitulation. Je te fais confiance.

— Ouah, ça fait plaisir à entendre !

Mon associé pour cette dernière journée s'installa à mes côtés.

— Pour notre bien, je suis d'avis que l'on ne se revoit pas.

— Avis partagé. On reprend chacun notre route, ajoutais-je plus ferme.

— C'est mieux ainsi.

Une surenchère qui mettait à mal mes certitudes.

— Oui, oui.

Mais nous devions nous tenir à ces décisions. Toute autre voie ne nous mènerait nulle part. Je maintenais mes mains solidement accrochées à la barre, la respiration lourde, un brin dérangée, alors qu'un interminable silence s'allongeait entre nous. Quand l'un ne savait plus quoi dire, l'autre se maudissait pour en avoir trop dit.

— Nos escapades vont me manquer, avoua-t-il en soutenant l'horizon de ses iris.

— Que comptes-tu faire une fois rentrer ?

Cal haussa les épaules, car il n'en savait rien. Officiellement, il profitait de sa convalescence chez un oncle écossais. Officieusement, il jouait à l'apprenti voleur en compagnie d'une fugitive internationale. Il ne cherchera sans doute pas à s'en vanter devant ses supérieurs.

— Te jouer des tours va me manquer, m'enquis-je en me prenant à ce jeu de connivence.

Par réflexe, il posa sa main sur le cadran de sa montre si précieuse.

— Ne rien faire avec toi va me manquer.

Cette idée m'arracha un rire discret. Au fond, je commençais à appréhender un retour à la normale, sans un complice pour me couvrir. Ma fierté et la réalité de notre situation me menaient à l'évidente conclusion que Calixte Wiles était déjà hors de ma portée. Par sa profession et ses convictions, sa présence à mes côtés devenait une aberration, une anomalie que l'on devait vite réparer.

— Tu vas me manquer.

Muet d'étonnement, Cal détacha ses prunelles du point invisible au loin, enfin il me regardait. Mais regarder ne suffisait pas à décrire cette différence qui opérait en lui. On peut regarder avec banalité des choses quotidiennes, routinières ou familières. Par exemple, lorsqu'on observe les tâches ménagères, les trajets habituels, les activités répétitives, ou encore des objets ou scènes communes qui ne suscitent pas d'intérêt ou d'inspiration.

La voilà toute la nuance.

Alors que regarder se réfère surtout à l'acte de saisir visuellement, voir va au-delà de la simple perception pour un intérêt profond et réfléchi. Voir mêle une attention prolongée, un temps d'arrêt, et une immersion dans ce qui est considéré. C'est une forme d'observation méditative ou réfléchie pouvant impliquer une appréciation esthétique, une pensée philosophique ou une contemplation spirituelle.

De la pure bienveillance, Calixte ne me regardait plus, il me voyait, et je le voyais.

— Et nous n'apprécions la valeur du temps qu'une fois celui-ci écoulé.

Nous voilà aux termes.

La Voleuse aux Mains d'Or - Tome 1 [TERMINÉ]Where stories live. Discover now