Chapitre 27

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Tandis qu'Elijah conversait avec le reste de la famille, Elena observa attentivement l'épouse de Clayton. Annaëlle était une très belle femme, dans la cinquantaine, brune, les yeux bleus comme son mari, vêtue d'une superbe robe bordeaux faite de soie, de fourrure et de cachemire. Elena la trouva belle, tout comme l'était Naïna. Annaëlle possédait un charisme parfaitement accordé à son caractère discret qui envoûta Elena dès le premier coup d'œil. Les deux fils de Clayton et d'Annaëlle, Denem et Florien, quinze et dix-sept ans, se montraient étonnamment matures pour leur jeune âge et ressemblaient comme deux gouttes d'eau à leurs parents. Ils dînèrent tous ensembles dans la joie, oubliant presque Elena qui ne sortait pas un mot. Elijah le voyait mais ne savait pas de quoi elle avait besoin et, ne voulant pas la gêner, attendait désespérément un moment de calme pour le lui demander discrètement. Elle picorait dans son assiette sans vraiment manger et offrait un sourire faux à ses interlocuteurs. Les seules fois où Elijah l'avait vu porter un réel intérêt aux de Roches, c'était lorsque Florien et Denem avaient pris la parole pour raconter leur parcours, déjà bien rempli pour des jeunes gens. Son épouse se faisait oublier, ou presque, et le désintérêt total de Maxence-Clayton pour sa personne semblait lui convenir pourtant, Elijah voyait une lueur infiniment triste dans ses beaux yeux verts. Elena sentit une main se poser sur sa cuisse et se raidit aussi discrètement que possible sans se départir de son sourire, bien qu'elle l'eut gardé à grande peine. Son mari s'aperçut que le corps gracile d'Elena s'était contracté à son contact, comme si elle l'avait redouté durant tout ce temps. Après le dessert, les hommes quittèrent la salle à manger, comme de coutume, pour gagner une autre pièce où ils se réunissaient pour discuter entre eux et laisser leurs épouses et leurs enfants converser de sujets qui ne les passionnaient pas. Elena se retrouva donc seule à table avec Annaëlle, Denem et Florien ayant atteint l'âge de quitter la pièce avec leur père. Annaëlle se tenait droite et souriait à Elena d'un air maternel.

- Comment vous êtes-vous rencontrés tous les deux ?

La jeune femme manqua de s'étouffer avec sa tisane et prit soin d'éponger ses lèvres avec sa serviette pour se donner une contenance. Elle déglutit une ou deux fois avant de répondre :

- C'était lors d'un bal saisonnier que la famille de mon mari avait coutume d'organiser. Je ne me sentais pas trop à ma place et soudainement, il est venu discuter. Au début, je ne savais pas qui il était, dit-elle en forçant un rire, je ne l'ai su que lorsque nous nous sommes séparés. Nous avons dansé ensemble et nous nous sommes promenés dans les jardins du manoir... c'était en été je crois. Enfin bref, nous nous sommes revus quelques semaines plus tard et nous avons fini par ne plus pouvoir nous passer l'un de l'autre. Notre mariage a eu lieu un an plus tard et nos familles n'en formaient déjà plus qu'une.

- Quelle belle histoire, murmura Annaëlle en la fixant d'un regard doux, j'aimerais en entendre davantage.

Elena s'exécuta, captivée par le récit de sa rencontre avec son mari, qu'elle avait pourtant inventé du début à la fin. Elle ne se contentait pas de mentir, elle se persuadait elle-même que tout cela était réellement arrivé, tant elle aurait voulu vivre ces instants avec Elijah. En vérité, Elena aimait son mari. La chance avait voulu qu'elle en tombe amoureuse dès les premiers instants passés en sa compagnie mais leur histoire ayant été ce qu'elle fut, la jeune femme avait déchanté à tel point que ces sentiments, pourtant forts, ont été enfouis au plus profond d'elle, cachés derrière des montagnes de peurs, de remords et d'incertitudes. Il y avait, bien sûr, une part de vérité dans l'histoire qu'elle contait à Annaëlle. Les détails de leur mariage, elle les avait énoncés tels qu'ils se sont déroulés, omettant volontairement les moments où la peur l'avait fait pleurer.

- Et c'est ainsi que nous avons décidé de quitter Helldenheim pour vivre ailleurs, dans les pays du sud.

- Une véritable idylle, commenta Annaëlle, digne d'un conte de fée.

Elle marqua une pause durant laquelle elle couvrit Elena d'un regard compatissant avant de reprendre sur un ton plus bas :

- Dommage qu'elle ne soit pas réelle.

- Oui, c'est... Euh, attendez : quoi ?

- Ma chère Elena, lança Annaëlle, à mon âge, on ne me la fait plus. J'ai douté à de nombreuses reprises mais je suis maintenant certaine que votre belle romance n'est rien de plus que le fruit de votre imagination.

- C'est faux, se défendit Elena, je...

- Ma chérie, murmura-t-elle en se levant, je le vois dans tes yeux.

Annaëlle lui releva le menton et lui sourit d'un air si doux qu'Elena eut l'impression d'être sa fille.

- On vous a présentés une semaine avant votre mariage, et tu avais des rêves et des attentes qui ont vite étés réduites à néant, je me trompe ?

La jeune femme secoua la tête, au bord des larmes. Annaëlle la prit dans ses bras et lui murmura :

- Elijah est un jeune homme qui a tendance à trop se fier à sa première impression. Je me doute que tu as souffert et crois-moi je sais très bien de quoi je parle...

- Comment ça ?

Annaëlle s'assit à côté d'Elena et lui prit les mains.

- Pour moi aussi, le début de mon mariage avec Maxence a été difficile. Il ne se passait pas un jour sans qu'on ne nous entendre crier, tant on se disputait.

- Et... comment avez-vous fait ?

- J'ai commencé par accepter ma nouvelle vie et de lui faire confiance.

- J'ai confiance en Elijah.

- C'est bien, mais si tu le crains encore, peu importe la raison et je suis certaine qu'elle est justifiée, tu ne pourras jamais passer à autre chose.

- Mais je... il m'a...

Une larme roula sur la joue de la jeune femme, puis des dizaines d'autres la suivirent, brûlantes et salées. Elena ne pouvait plus retenir ses larmes, c'en était trop. Cette femme ne savait pas ce qu'elle disait, elle ne savait rien de sa vie. Comment peut-elle se permettre de lui donner des leçons ? Comment...

- Mon premier fils, Florien...

Elena leva à peine les yeux vers elle mais décida d'écouter.

- Je ne l'ai pas désiré.

La jeune femme se tourna vers elle, une question dans les yeux, incapable de la poser à voix haute.

- Ce fils, je ne l'ai aimé que lorsque je lui ai donné la vie. Je ne le détestais pas mais pendant ma grossesse, j'ai haï son père si profondément que j'ai failli perdre mon enfant. Pourtant, mon mari s'occupait de moi tous les jours, j'étais aimée et choyée. Mais il m'avait trahie.

- Trahie ?

- Oui, Maxence m'avait promis que je n'aurais d'enfant que lorsque je l'aurais décidé. En réalité, si je n'étais pas tombée enceinte durant mes trois premières années de mariage, c'est que, comme toi, je ne le laissais pas m'approcher tant nous nous disputions.

Elena médita ces paroles et termina le récit à sa place :

- Mais dès qu'il en a eu l'occasion, il en a profité.

Annaëlle hocha la tête pensivement et essuya une larme sur la joue de la jeune femme.

- Tous les couples se disputent, c'est inévitable. Mais ils finissent par se pardonner et, dans notre cas à toi et moi, par s'aimer.

- Alors... vous aimez Maxence ?

- Oui, je lui ai pardonné et j'ai choisi de profiter de l'affection qu'il m'offrait.

- Mais comment peut-on passer à autre chose, pardonner ?

- Il faut du temps. C'est tout, il n'y a pas d'autre moyen : du temps pour construire la confiance.

Thifany- le sort d'une dynastieWhere stories live. Discover now