boulevard de vaugirard

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— «  ouais pétasse ? J'entend au bout du fil.

— ton tableau de merde il est trop lourd, c'est super chiant à transporter.

— attends, c'est pour ça que tu m'appelles, grosse folle ? »

j'éloigne le téléphone de mon oreille quand je l'entends vociférer des insultes en bambara.

— « sérieux y'a des gens qui taffent kam.

— ok doum's j'vais être cash avec toi j'ai besoin de ton aide. »

ça m 'écorche la bouche de lui demander ça. de un parce que c'est doum's, de deux parce que personne n'aime demander à quiconque de l'héberger. je me sens comme une merde mais j'ai pas le choix. je peux pas laisser la situation s'envenimer avec ivy, et je vois pas à qui je demanderais d'autre.

— « une semaine, pas plus...

— une semaine, quoi ? il demande.

— je toucherai à rien, je dormirais par terre s'il le faut.

— mais de quoi ?

— je te ferai des croque-monsieur comme t'aimes. c'est bien toi qui aimes ça ?

— mais ta race kami tu veux quoi frère ? » il s'emporte.

mais j'avoue que je lui ai rien demandé en fait. je suis stressée que je tourne autour du pot, alors qu'en temps normal j'ai horreur des gens qui font ça. comme quoi...

— « tupeuxm'hébergerpourunesemaine ? »

j'ai fermé les yeux par réflexe, comme si ça me donnait plus de courage ou plus de mental pour encaisser le « non » que je vais me prendre en plein dans la face. mais contre toute attente, il m'offre la meilleure réponse du monde.

— « mais j'ai cru c'était un truc grave gros tu me prends la tête pour une histoire de squat ? viens et ferme ta bouche. »

il raccroche avant même que je ne puisse répliquer. et c'est pas plus mal. il m'enlève une épine du pied. je reçois l'adresse une poignée de secondes plus tard. il m'explique qu'il n'est pas sur place mais qu'il ne tarderait pas et que je n'ai qu'à faire comme chez moi.

que dieu le bénisse.

après mûre réflexion, je décide de laisser le tableau chez ivy. ça ne servirait à rien que je me le coltine partout où je vais tant que ce n'est pas chez moi. j'espère que la brunette ne m'en voudra pas. sur la route qui mène chez le cramé je réfléchis justement au message que je pourrais lui envoyer pour lui expliquer ma décision de la façon la plus simple et claire possible. et c'est plus difficile qu'il n'y paraît.

une demi heure de métro plus tard, j'arpente un boulevard que je n'ai pas fréquenté depuis ce qui me semble une éternité. l'endroit m'est familier mais sans google maps je serais dans de beaux draps. ça me fais tout drôle d'être ici. ça me rappelle des souvenirs d'enfance qui me procurent à la fois joie et amertume. j'évite de m'éterniser sur certains flashbacks.

finalement je trouve sa rue. la porte de son immeuble est toujours pétée alors le digicode n'a aucune utilité. j'appelle l'ascenseur, trop flemmarde de monter cinq étages avec mon sac plein à craquer et me retrouve enfin devant sa porte. il m'a prévenue qu'il ne serait pas là mais qu'il y aurait au moins quelqu'un pour m'accueillir. je souffle un bon coup et sonne.

c'est un eye contact que je connais trop bien qui se dévoile.

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