sur un coup de tête

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je soupire une énième fois en entrant dans l'habitacle. je prends place, ferme la portière et allume le contact.

je ressasse un milliard de souvenirs avant de démarrer. comme si tout était bon pour retarder le moment.

au début je voulais prévenir ivy mais je me suis ravisée. j'avais pas envie de l'emmerder avec ça. et puis au cas où je me défile je n'aurais pas de comptes à lui rendre, c'est surtout ça.

du coup je prends la route en prenant soin de respecter toute les limitations de vitesse. je suis même pas saoulée de me prendre tous les feux, pire encore je laisse toutes les priorités. une grande première.

mais le 91 c'est pas à des milliers de kilomètres non plus. je mets à peu près une heure à me rendre chez eux avec les bouchons et ma lenteur spectaculaire.

je m'arrête à deux pâtés de maison et je réfléchis.

je réfléchis à ce que je pourrais bien leur dire. le pourquoi du comment.

pourquoi je reviens, même ?

c'est ken qui t'a cheb, cet abruti.

et si ils ne m'ouvrent pas ? s'ils m'envoient balader ?

je soupire et m'allume une clope pour me détendre. avant de me rappeler qu'ils ne sont pas censés savoir que je fume. décidément.

la première taffe m'aide à ralentir un peu mon rythme cardiaque. la seconde me fais demander ce que je fous là.

clairement, j'ai pas envie d'être là.

j'ai pas envie de les voir pour qu'ils me blindent de reproches, ni envie de me rendre compte que leur vie est bien mieux sans ma présence.

c'est l'anniversaire de mon papa aujourd'hui. 58 ans.

en général je me contente d'un petit message bateau auquel il répond merci et ça s'arrête là.

nan sérieux qu'est-ce que je fous là ?

j'ai envie d'appeler ken afin qu'il sache que c'est un putain de boulet.

mais faut que j'arrête de me trouver des excuses, aussi.

j'enlève la clé, attrape mon portable, mon paquet de la boulangerie et sors.

il fait beau aujourd'hui. c'est au moins ça de positif. alors je verrouille la voiture et je me mets à marcher dans la rue.

je suis submergée par les souvenirs.

au loin j'aperçois le parc où je me suis pétée l'arcade, où j'ai fait toutes mes premières conneries et où j'ai eu mon premier baiser. si on continue plus loin on a la petite boulangerie de quartier où ma mère m'achetait ma meringue après l'école. bref.

ça fait une éternité que j'suis pas venue ici. et ça me fais des trucs dans le coeur. j'aurais pas pensé.

mes pas se rétrécissent quand je sens que j'arrive à bon port. au numéro 51.

la maison n'a pas l'air d'avoir changée, mais je ne reconnais pas la voiture.

je jette mon mégot, j'ai les mains moites.

j'ai l'impression de commettre un crime alors que je vais juste voir mes géniteurs, si c'est pas un truc de ouf, ça...

et je reste plantée là, devant la maison comme une débile. j'ai juste envie de faire demi-tour.

mais maintenant qu'on y est, je peux plus reculer. j'suis un pd, moi ?

— seigneur... je souffle pur moi même, avant de combler les quelques mètres qui me sépare de la maison.

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