lac des cygnes

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j'adore l'eau.

elle est utile et vitale à tous les êtres vivants sur terre, impossible de s'en passer, impossible de ne pas l'apprécier.

la voir briller au soleil, entendre le clapotis des vagues, s'immerger dans ses bas fonds pour échapper au brouhaha de la vie.

j'aurais préféré faire ça dans la mer, mais on se contentera d'ici.

elle scintille grâce aux lampadaires, le bruits des micro vaguelettes qui s'échouent sur les fondations sont masqués par les rares passages des voitures. je doute que s'y immerger me fasse du bien, mais j'ai envie de dire.

un cadavre de plus ou de moins dans la seine...

j'ai toujours rêvé d'avoir une maison en bord de mer, c'est pratique pour pêcher ou juste piquer une tête quand tout le monde te casse les couilles. j'ai jamais vraiment cru aux familles heureuses et épanouies mais j'espérais au moins trouver quelqu'un qui me comprendrait et qui par conséquent, me supporterait.

sauf que personne ne me comprend.

il y a, je dirais, cette majorité de la population mondiale qui arrive à faire face aux épreuves de la vie et à accepter le destin qu'un être malsain leur a réservé sans éprouver la moindre gêne. je pense qu'on appelle cela l'adaptation.

et puis, il y a le reste. ces personnes qui ne supportent pas ce mode de vie imposé et qui ont du mal à entrer dans des cases, donc on s'y force, parce qu'il le faut.

c'est nous. c'est moi.

comment ivy pouvait m'admirer. c'est moi qui l'admire pour pouvoir vivre normalement, sans penser une seule seconde à disparaître. et sasha a totalement raison quand il dit que je suis chelou, pourquoi je ne suis pas normale ?

pourquoi je n'arrive pas à être heureuse quand on me montre de l'intérêt ? pourquoi je ne mets pas toutes mes chances de mon côté quand on me propose un bond dans ma carrière ? et pourquoi j'aime pas aimer ? et pourquoi j'ai une carrière ?

pourquoi on est humains ? qu'est-ce qui fait de nous humains ? avoir deux bras et deux jambes ? ou alors c'est l'âme qui nous définit ? et comment on sait qu'on en a une ? est-ce qu'éprouver des sentiments suffit à prouver son existence ?

est-ce que c'est l'âme qui définit le fait qu'on soit une bonne ou une mauvaise personne ?

et si on est une mauvaise personne ? mérite-t-on alors de vivre ?

si j'étais quelqu'un de bien, je ne ferais pas souffrir ivy. la seule qui ait été là pour moi jusqu'à ce que je foire tout.

avant je pensais que c'était l'alcool ou alors la drogue qui me faisait partir en vrille, mais c'est justement parce que je pars en vrille que je réfugie la dedans. je suis née avec cette défaillance, ce vide énorme en moi, dévastateur, inexplicable.

et pourquoi est-ce qu'on est si malheureux dans nos vies ?

si c'est typiquement humain de souffrir, pourquoi dit-on que certaines douleurs ne sont pas humaines ?

tant de questions sans réponses, notamment la principale qui me taraude.

dois-je sauter ce soir ou demain ?

j'ai fait mon lit, rangé mes affaires et fait en sorte qu'elles tiennent dans les deux gros sacs de voyage. il n'y aura aucun ménage à faire. j'ai laissé une lettre dans laquelle je remercie doum's de tout mon coeur pour son hospitalité et son éternelle considération. j'ai aussi dédié un paragraphe à ivy, où je lui présente mes excuses pour tout le mal que je lui ai fait depuis qu'on se connait. pour sasha, je m'excuse simplement d'avoir été bizarre et de devoir céder mon siège pour le réveillon. il s'en remettra, je pense. je n'ai rien oublié.

je tiens en équilibre assise sur cette rambarde à fixer ce fleuve infâme. il doit être entre deux heures et trois heures du matin. les rues sont quasi désertes, le pont est vide.

pendant que le froid me mord toute entière et que je me sens enfin prête à m'immerger dans ma bulle à jamais; j'ai une pensée pour l'univers. celle à laquelle on pense tous quand on est au fond du trou. je n'y fais pas exception.

un signe ?

les minutes défilent en attendant que l'univers se manifeste, juste un signe, un cri, un oiseau, un coup de vent ?

rien.

alors je ferme les yeux et me charge de tirer un trait sur mon existence. ce fut bref mais suffisant. vingt trois années dépourvues de sens et de réponses. j'espère que là où j'irai, s'il existe bien autre chose que le néant, j'aurais ma réponse.

je rouvre les yeux aussitôt.

il y a une chose que j'ai oubliée.

mon portable, qui vibre dans ma poche et qui m'annonce que ça ne sera pas pour ce soir.

je regagne la terre ferme et m'empresse de l'attraper. ivy ? est-ce toi qui m'appelle pour me dire que tu me pardonnes ? même pas. un numéro que je ne connais pas mais auquel je réponds sans me poser de question.

— a-allô ?

— wesh c'est ken, je te dérange peut-être mais j'arrive pas à joindre ce connard de doum's il s'est toujours pas racheté de téléphone et...

pour la première fois depuis longtemps, les larmes me montent aux yeux et brouillent ma vision du fleuve que je ne peux plus regarder pour le moment. j'étouffe un sanglot, puis deux. ken est au bout du fil et parle toujours, mais je n'écoute pas un mot de ce qu'il me raconte.

— t'es encore là ? il demande.

je quitte ce pont en courant, je n'arrive pas à raccrocher ni même à retenir mon chagrin. mon corps se relâche complètement et je déverse ma tristesse sur lui, qui n'a rien demandé.

— wesh tu pleures ?

c'est la situation la plus embarrassante de ma vie. je n'ai ni la force de lui répondre, ni la force de raccrocher. je l'entends alors me poser un milliard de questions et me demander de me calmer, c'est peine perdue. je ne contrôle plus mes larmes qui coulent à flots.

— t'es où kamiya ?

après une bonne poignée de minutes de faiblesse absolue, j'arrive à trouver la force de m'excuser à nouveau et de raccrocher.

ShinkūWhere stories live. Discover now