Chapitre 2 : Charlotte

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C'est difficile de se sentir chez soi quand il y a des personnes à chaque recoin. Femmes de ménage, cuisinier et jardiniers. Je devrais être habituée. Je n'ai connu que ça depuis ma venue au monde. Mais je suis toujours aussi mal à l'aise face à tous ces domestiques payés pour anticiper chacun de nos besoins. J'aimerais pouvoir me faire un sandwich sans créer la panique générale car "ce n'est pas à vous de le faire, mademoiselle". Même quand j'éternue, quelqu'un apparaît toujours de nulle part, un mouchoir à la main.

Le seul endroit où je peux avoir la paix, c'est le balcon qui longe ma chambre. Bon, en réalité, ce n'est pas vraiment un balcon. Plutôt un morceau de toit. Et il se pourrait bien que je ne sois pas autorisée à y aller car il y a un trop grand risque d'accident. Ça ne m'empêche pas d'escalader le rebord de ma fenêtre pour rejoindre le balcon secret dès que j'ai besoin d'échapper aux bruits assourdissants du reste du monde. De là-haut, j'ai une vue imprenable sur l'immense terrain verdoyant qui encercle le manoir familial. La piscine olympique, la fontaine à l'effigie du dieu grec Apollon, le labyrinthe de haies, et la forêt de pins qui s'étend sur des kilomètres.

C'est Rachel qui m'a fait découvrir ce recoin caché de la maison quand j'avais sept ans. Ma sœur a un don pour dénicher ce qui échappe au regard du commun des mortels. Elle avait un don. Je n'arrive toujours pas à penser à elle au passé. Cela fait presque trois mois qu'elle nous a quittés, mais mon cerveau ne parvient pas à s'habituer. Et j'en connais parfaitement la raison. C'est parce que le tueur de Rachel n'a pas été appréhendé. Il est quelque part, libre de continuer sa vie, tandis que ma sœur repose six pieds sous terre.

Cette injustice me met hors de moi.

Et je compte bien remédier à la situation.


En descendant l'escalier tournant qui mène au rez-de-chaussée, je réalise vite que mon humeur ne va pas s'améliorer. Mes pieds n'ont pas encore atteint le carrelage immaculé du vestibule quand j'entends le cliquetis d'escarpins en approche. Du coin de l'œil, j'aperçois Laurel foncer vers moi à la vitesse de l'éclair. Ma belle-mère a toujours l'air pressée, tel le Lapin Blanc des Aventures d'Alice au pays des merveilles, même si elle n'a rien à faire de ses journées. À mes yeux, dépenser de l'argent dans des boutiques de luxe ne compte pas comme une activité urgente.

Laurel porte une robe mi-longue de couleur émeraude, accompagnée d'un collier de perles, et ses cheveux sont soigneusement attachés. Elle arrête de faire glisser son doigt sur l'écran de sa tablette et concentre son regard sur moi.

—    Charlotte, as-tu eu le temps d'essayer ta robe pour vendredi ? demande-t-elle. S'il y a des retouches à faire, je dois le savoir dès maintenant.

—    Pas encore. Je le ferai plus tard dans la journée.

Je fais un pas sur la droite pour continuer d'avancer et mettre un terme à la conversation. Mais ma belle-mère n'est pas du genre à lâcher l'affaire si facilement. Elle se met à nouveau en travers de mon chemin.

—    Quand, exactement ? insiste-t-elle. C'est très important que tout soit parfait pour ton père. C'est la première soirée qu'il organise depuis...

Depuis la mort de Rachel. J'attends la suite de sa phrase, bien que je sache pertinemment qu'elle ne le dira pas à voix haute. Depuis trois mois, elle évite toute mention de l'incident. Et quand mon père ou moi l'évoquons, elle cherche à changer de sujet par tous les moyens. C'est comme si elle se disait que le meurtre d'une de ses belles-filles était une source d'embarras pour notre famille.

—    Comme tu le sais, reprend Laurel après s'être éclairci la gorge, des clients, des investisseurs et des membres du conseil d'administration seront présents. Il faut leur montrer que l'entreprise ne sera pas affectée par les événements récents. En tant que PDG, ton père doit les rassurer, et je veux simplement lui faciliter la tâche.

Les assistantsWhere stories live. Discover now