Chapitre 30 : Alyssa

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Cela fait maintenant cinq jours que le meurtre de Lockhart a eu lieu. L'envie de rester recroquevillée dans mon lit toute la journée s'estompe peu à peu. Et Charlotte en est la raison. Elle passe me voir tous les jours pour m'encourager à manger, à m'habiller et à sortir prendre de l'air frais. Pour quelqu'un de si discret, elle sait se montrer très persuasive. À vrai dire, elle s'est vite rendu compte que je ne savais pas lui dire non, et elle en tire profit comme elle peut. J'en suis reconnaissante, car elle fait tout cela pour mon bien. Grâce à elle, je ne laisse pas le chagrin me consumer.

Jamie est d'une grande aide, lui aussi. Avoir quelqu'un qui dit tout ce qui lui passe par la tête présente une parfaite opportunité de divertissement. Il n'est pas du genre à se laisser abattre, ce qui me motive à faire de même. Selon lui, Evan prend régulièrement de mes nouvelles. Je ne lui ai pas parlé depuis ce jour-là et il n'a pas tenté de me contacter. J'apprécie le fait qu'il respecte mon souhait en me donnant du temps et de l'espace, mais je n'ai pas encore le courage de faire face au problème. À chaque fois que Charlotte ou Jamie commence à aborder la question, je change de sujet.

Cependant, j'aimerais mettre à profit les quelques forces que j'ai réussi à retrouver. Je pense qu'il est temps d'honorer la mémoire de Lockhart. Étant donné que la police garde son corps pour l'autopsier, il est impossible d'organiser un enterrement pour le moment. Mais je ne trouve pas cela correct. Elle mérite une sorte de service commémoratif, même en très petit comité. Ce n'est pas difficile de convaincre Charlotte et Jamie de se joindre à moi dans cette initiative.

Ils me demandent ce qui aurait fait plaisir à Lockhart, et ma réponse est quasiment instantanée. Elle n'aurait pas voulu de discours larmoyant, ni de tentative de la faire passer pour une sainte. Elle aurait voulu qu'on célèbre sa vie avec de l'alcool, des rires, et de la musique. Alors c'est exactement ce que nous faisons.


Le niveau de la bouteille est désormais plus proche du fond que du sommet. Charlotte, Jamie et moi échangeons des anecdotes embarrassantes. Celui qui raconte la moins drôle doit finir son verre d'un seul trait. À mon humble avis, les règles du jeu avantagent injustement Jamie. Il se retrouve dans des situations gênantes un jour sur deux. Dans d'autres circonstances, j'aurais contesté cette idée, mais ce soir je suis prête à boire sans objection.

— OK, j'en ai une pas mal, dis-je quand vient mon tour. Je devais observer un rendez-vous entre Lockhart et des clients. Je crois que c'était ma première année en tant qu'assistante. J'étais un peu en retard, donc les clients étaient déjà là. Quand je suis arrivée, personne ne parlait et ils faisaient tous une drôle de tête. Je me suis dit que c'était une bonne idée de faire de l'humour pour détendre l'atmosphère, donc j'ai dit très fort : "Bon sang, quelqu'un est mort ou quoi ?".

— Oh non... grimace Charlotte lorsqu'elle comprend où mon histoire se dirige.

— En fait, le mari venait d'apprendre que ses grands-parents maternels avaient passé l'arme à gauche. Apparemment, ils se sont étouffés avec un radis.

— Les deux grands-parents ? demande Jamie, déjà en train de retenir un rire.

— Oui, les deux en même temps. Je suis probablement un monstre, mais je vous avoue que c'était dur de garder mon sérieux après ça. J'imagine que c'étaient des gros radis.

Nous échangeons un regard en silence, mais le rire prend rapidement le dessus. Je pense que je ne vais pas perdre ce coup-ci.

— Ne le prends pas mal, Winters, dit Jamie, mais tu es beaucoup plus marrante avec quelques verres dans le nez.

Ces quelques mots suffisent à nous faire repartir en fou rire. Si ce n'était pas déjà clair avant : nous sommes légèrement éméchés. Je réalise à quel point j'avais besoin de ce moment pour relâcher la pression. Je suis très reconnaissante envers les deux personnes à mes côtés.

Les assistantsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant