Chapitre 35 : Evan

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La notification peut apparaître d'une seconde à l'autre. Ou elle pourrait ne jamais arriver. Si mon maître chanteur se doute de quelque chose, s'il suspecte que j'ai vendu la mèche à propos du micro, on sera toujours au point mort. Si Jonas est coupable, comme le pense Charlotte, on devra trouver un autre moyen de le prouver. Dans les deux cas de figure, nous venons d'annoncer en des termes non équivoques que nous n'avons pas prévu d'arrêter notre enquête, peu importe le danger. Cela signifie que nous sommes de nouveau des cibles potentielles pour ce psychopathe. Si nous ne mettons pas un terme à cette histoire dans les prochaines heures, j'ai peur de découvrir les conséquences qui nous attendent demain.

J'ai proposé de monter la garde devant mon écran pour que les autres puissent se reposer ou vaquer à d'autres occupations. Bien qu'ils trépignent aussi d'impatience, Charlotte et Jamie sont rentrés chez eux. Mais Alyssa a insisté pour rester avec moi dans la salle de réunion de Lockhart Investigations. Mon premier instinct est de penser qu'elle ne me fait pas suffisamment confiance. Cette pensée doit être facilement lisible sur mon visage puisqu'elle justifie tout de suite sa décision.

—    C'est mon enquête, dit-elle d'un ton ferme. Peu importe ce qui se passe, j'en serai responsable. Alors, je reste.

Nous attendons en silence pendant de longues et pénibles minutes, chacun le regard rivé sur notre téléphone. À vrai dire, mon cerveau n'assimile pas vraiment ce que je lis. Je suis trop préoccupé par notre mission et par la tension palpable entre Alyssa et moi. À chaque minute qui passe, je deviens un peu plus agité.

—    J'imagine que tu ne veux pas avoir cette discussion maintenant, lâché-je quand le silence devient insupportable. J'ai respecté le fait que tu demandes de l'espace après ce qui s'est passé. Mais je ne peux pas continuer comme ça. Tu étais ma meilleure amie pendant longtemps et j'ai tout gâché en voulant te protéger de la manière la plus stupide possible. Tu m'as pardonné et j'ai trouvé le moyen de tout gâcher à nouveau. Ces mots n'ont probablement plus aucune signification à tes yeux, mais... Je suis désolé, Alyssa. Si tu as encore la force de croire la moindre chose qui sort de ma bouche, alors sache que je n'ai jamais voulu te faire de mal. Jamais.

Une fois mon monologue terminé, Alyssa tourne enfin sa tête vers moi. Je peux lire sa souffrance dans chaque recoin de son visage. Cette vision me serre le cœur car j'ai contribué à une partie de cette souffrance.

—    Je comprends ce que tu as fait, dit-elle d'une petite voix. Je ne peux pas te reprocher d'être protecteur envers les personnes auxquelles tu tiens car c'est une des qualités qui... Ton grand cœur est l'une des raisons qui m'ont poussé à t'aimer. Ce jour-là, quand tu nous as dit la vérité, je me suis raccroché à cette trahison parce que j'avais besoin de diriger ma colère quelque part. C'était le seul moyen de ne pas en vouloir à la terre entière. C'était le seul moyen de ne pas me noyer dans toute cette rage.

Alyssa s'arrête un instant, comme si cette réalisation venait de la prendre par surprise. Je n'ose pas l'interrompre. Et même si ce n'était pas le cas, je ne saurais pas quoi répondre à tout cela. Je suis simplement soulagé qu'elle ne me déteste pas.

—    Je n'ai pas été totalement juste avec toi, reprend Alyssa. Et j'en suis désolée. Et pour ce qui est de te pardonner, je ne suis pas certaine de pouvoir dire ces mots pour le moment... Mais tu n'as plus besoin de culpabiliser, d'accord ? Alors si tu as écrit mon nom dans ton journal intitulé "personnes avec qui je dois faire amende honorable", tu peux le rayer de la liste.

Tandis qu'Alyssa m'offre un sourire hésitant, je lâche un petit rire. Je ne précise pas que ce fameux journal est réservé aux noms des personnes à qui j'ai extorqué de l'argent par le passé et que je prévois de rembourser. Il vaut mieux éviter de contredire une amie qui a décidé de ne pas vous tenir rigueur de vos erreurs monumentales.

Du coin de l'œil, je remarque que la porte de l'accueil est en train de s'ouvrir. Nous l'avons verrouillée après le départ des autres par précaution, donc seul quelqu'un qui possède une clé magnétique peut la franchir. Jamie entre dans le couloir, puis referme la porte derrière lui. Même de loin, je peux voir qu'il ne dégage pas le même niveau de confiance en soi que d'ordinaire. Et lorsqu'il s'approche, je le trouve même un peu pâle. Il doit être encore plus nerveux que moi face à cette attente.

—    On n'a toujours rien reçu, dit Alyssa en guise de salutation. Tu es sûr de vouloir attendre avec nous ?

—    Je n'arriverai pas à dormir, de toute manière, répond Jamie en haussant les épaules.

Il s'installe autour de la grande table, anormalement silencieux. J'essaye de l'observer discrètement pour deviner ce qui lui trotte dans la tête, mais je fais chou blanc. Je me fais sûrement des idées. Si quelque chose le tracassait, il nous en parlerait, pas vrai ?

Mes pensées n'ont pas l'occasion d'aller plus loin car mon ordinateur émet un tintement. Alyssa et Jamie s'approchent de l'ordinateur au même que moi. Ça y est, le disque dur a été utilisé. Le meurtrier est tombé dans notre piège. Un clic suffit à afficher l'adresse où il se trouve.

L'espace d'une seconde, tout le monde s'arrête de respirer dans la pièce. Nous connaissons cette adresse.

—    Il faut prévenir Charlotte, dis-je finalement.

On doit l'avertir, non pas pour qu'elle nous rejoigne, comme c'était prévu, mais parce qu'elle se trouve au même endroit que le meurtrier.

Et à cette heure tardive, il n'y a qu'une seule autre personne au manoir Parks.

Laurel, la belle-mère de Charlotte.

Les assistantsWhere stories live. Discover now