Chapitre 27 : Jamie

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Je fais les cent pas à travers la salle d'interrogation en attendant que quelqu'un daigne se souvenir de ma présence. Le manque d'espace commence à peser sur mon esprit. Je ne suis pas claustrophobe, mais cette situation ravive de mauvais souvenirs. Quand j'étais petit, mon père se faisait un malin plaisir à m'enfermer dans ma chambre dès que je faisais la moindre bêtise. Depuis, je ne supporte pas d'être coincé dans une pièce sans avoir la possibilité de sortir.

Avant de m'asseoir, je lance un regard noir en direction de la petite caméra fixée au plafond. C'est peu probable que quelqu'un regarde ce que je suis est en train de faire, mais c'est un bon moyen de me défouler. Cette soirée me paraît interminable, et pourtant, je n'arrive toujours pas à réaliser ce qui s'est passé. Tout ce sang, le regard dévasté d'Alyssa, la confession d'Evan. Tout m'est tombé dessus comme une pluie d'explosifs.

Et même après avoir raconté l'histoire une bonne dizaine de fois, j'ai toujours l'impression qu'une autre personne a vécue tout cela. Malgré la fatigue, je suis parvenu à ne pas laisser échapper l'histoire du micro. La personne qui est derrière cela vient de démontrer qu'elle était capable du pire. Impossible de tenter le diable. Je n'aurais jamais pu me le pardonner si la famille d'Evan avait souffert à cause de moi. 

Je dois encore patienter une demi-heure avant qu'une femme ne fasse son entrée dans la salle. Elle se présente comme l'inspectrice en charge de l'affaire, puis elle prend place sur la chaise libre en face de moi.

— Désolée pour l'attente, dit-elle en faisant cliquer son stylo-bille. J'ai déjà discuté avec les autres. Je n'ai que quelques questions complémentaires à propos de vos témoignages. Ça ne devrait plus être très long.

— J'ai déjà passé des heures à raconter ce qui s'est passé. Je ne vois pas vraiment ce que je pourrais ajouter.

— Vous étiez avec Mlle. Parks et M. Greenfeld, et vous êtes tous arrivés après la fusillade, c'est bien ça ?

Je suis pris de court par cette absence de transition. Le moins qu'on puisse dire, c'est qu'elle ne tourne pas autour du pot.

— Oui, c'est bien ça. On ne savait même pas qu'il y avait eu des coups de feu. Je pense qu'on est entré dans le bâtiment après-coup.

— C'est donc Mlle. Winters qui vous a tout expliqué une fois que vous êtes arrivés au dernier étage ?

Je hoche simplement la tête pour répondre. J'essaye de décrypter ce qui se passe dans l'esprit de l'inspectrice, mais son visage est de marbre. Elle a dû mener un grand nombre d'interrogatoires par le passé.

— Et où était-elle lorsque vous êtes entrés ? interroge-t-elle d'un air nonchalant.

— Elle se tenait près de Lockhart, expliqué-je, les sourcils froncés. Près de son corps.

— Savez-vous si Mlle. Winters et la victime étaient parfois en désaccord ?

— Je ne comprends pas vraiment où vous voulez en venir avec ces questions.

C'est peut-être un peu trop franc, mais après toutes ces heures passées ici, je n'ai plus la force d'être faussement poli.

— J'essaye seulement de visualiser le déroulement des faits, M. Dellinger, rétorque Mendoza. Pourquoi êtes-vous sur la défensive ?

— Parce que votre visualisation semble un peu trop ciblée à mon goût. J'ignorais que la police traitait les témoins traumatisés comme des suspects.

— Je n'accuse personne. J'essaye d'y voir un peu plus clair. C'est une situation très particulière dans laquelle vous vous êtes tous retrouvés. Apparemment, rien n'a été volé. Donc il ne s'agit pas d'un cambriolage. Personne n'a vu le tireur s'enfuir. Votre collègue est le seul et unique témoin...

— Mon amie, rectifié-je. Alyssa est mon amie. Et vous ne devriez pas remettre en doute sa parole.

Mendoza griffonne quelque chose sur son bloc-notes. Je la soupçonne de faire cela pour me déstabiliser. Je garde mon expression aussi neutre que possible.

— Je fais ce métier depuis des années, dit-elle finalement. J'ai vite appris qu'il ne fallait pas faire confiance à qui que ce soit. Peu importe à quel point vous pensez connaître cette personne.

— C'est une histoire géniale, rétorqué-je avec une pointe sarcasme. Mais je pense que je vais arrêter de parler tant qu'un avocat ne sera pas présent.

Tout à coup, j'entends la porte de la petite salle s'ouvrir. Un homme aux tempes grisonnantes vêtu d'un costume cravate se tient dans l'encadrement. Un air sérieux est placardé sur son visage. Un passe visiteur est accroché à son attaché-case. Soit j'ai des super-pouvoirs qui me permettent de faire apparaître des avocats, soit il a été appelé par quelqu'un d'autre.

Lorsqu'il s'approche de la lumière des néons, je finis par le reconnaître. C'est l'ex-beau-frère de Victor Parks. Le père de Rebecca.

— Maître Lang... dit Mendoza d'un ton irrité qui laisse entendre qu'ils ont déjà eu affaire l'un à l'autre. Que puis-je faire pour vous ?

— Je suis venu vous annoncer que les interrogatoires sont terminés, répond Desmond sans sourciller.

— Selon qui ?

— Selon moi. Les quatre jeunes gens que vous gardez en otage depuis des heures se sont déjà montrés très coopératifs. Vous avez un récit détaillé des événements ainsi que leurs empreintes. Ils viennent de vivre un événement tragique. Je suis certain qu'ils aimeraient tous rentrer chez eux pour se reposer.

L'inspectrice Mendoza n'a pas du tout l'air d'apprécier cette petite intervention. Elle maintient son professionnalisme tant bien que mal lorsqu'elle propose à Desmond Lang d'aller parler à l'extérieur. Mendoza referma la porte derrière eux, me laissant seul dans la salle d'interrogatoire. Bien entendu, je me lève discrètement pour espionner leur conversation.

— J'ai encore des questions à leur poser, proteste Mendoza. Je suis sûre qu'ils ne m'ont pas tout dit.

— À moins que vous ayez des preuves, ça s'appelle de la conjecture, riposte Desmond. Avez-vous trouvé ne serait-ce qu'un seul élément qui justifierait de les garder plus longtemps ? Est-ce que l'un d'eux avait des résidus de tir sur les mains ?

— Non... Mais ça ne veut rien dire. Ils auraient pu porter des gants.

— Aucun gant n'a été retrouvé sur la scène de crime. Arrêtez vos théories du complot. Ils étaient simplement au mauvais endroit, au mauvais moment. Rien de plus. Et maintenant, ils sont libres de partir.

Lorsque j'entends du mouvement de l'autre côté de la porte, je me dépêche de retourner à ma place. J'arbore un air aussi innocent que possible. Desmond est le premier à entrer dans la pièce. Il me confirme que rien ne m'oblige à rester ici, alors je me précipite vers la sortie. Pas la peine de me le dire une deuxième fois.

Tandis que nous avançons dans le couloir, je sens le regard noir de l'inspectrice Mendoza me transpercer le dos. Je me retourne discrètement vers elle, mais elle s'est déjà réfugiée dans une autre pièce.

— Merci de m'avoir sorti de là, dis-je dans un élan de gratitude envers Desmond. J'ai cru que j'allais devenir fou.

— Aucun problème. Je ne fais que mon travail.

— Mendoza aussi, apparemment, mais j'ai bien moins envie de la remercier. Vous avez été très insolent avec elle, d'ailleurs. Je sais qu'on se connait à peine, mais je dois dire que je vous apprécie beaucoup.

Desmond lâche un petit rire, puis il m'annonce qu'il doit encore mettre un terme aux autres interrogatoires. Avant qu'il ne s'éclipse, je me sens obligé de poser la question qui me trotte dans l'esprit.

— Est-ce qu'on est tirés d'affaire ?

— Pour le moment, oui, répond Desmond. Mais je connais bien l'inspectrice Mendoza. Une fois qu'elle a quelqu'un dans le collimateur, elle sait se montrer tenace.

Et je sais précisément qui est dans sa ligne de mire.

Alyssa.

Les assistantsWhere stories live. Discover now