Chapitre 28 : Charlotte

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Je n'ai jamais été aussi ravie de voir mon oncle Desmond. Après autant d'heures d'interrogatoire, je ne pense pas que mon cerveau aurait pu supporter une autre série de questions. À vrai dire, j'ignore même comment il a réussi à tenir aussi longtemps. Au départ, tout mon corps était porté par l'adrénaline qui parcourait mes veines, mais l'angoisse de ne pas pouvoir vérifier comment vont les autres a vite pris sa place.

Lorsque j'arrive à l'accueil du poste de police, je suis immédiatement accueillie par mon père, qui m'enlace de toutes ses forces. Je l'ai appelé dès que j'en ai eu l'occasion, et même s'il était dans une autre ville pour les affaires, il s'est précipité jusqu'ici pour me venir en aide. Nous restons ainsi durant un long moment. Il ne me demande aucun détail. Tout ce qu'il veut savoir, c'est si je vais bien. Au moment où l'étreinte prend fin, je crois apercevoir des larmes dans le creux de ses yeux. Mais il se tourne si vite vers mon oncle que je n'ai pas l'occasion de découvrir si c'est mon imagination qui me joue des tours.

Une poignée de minutes plus tard, je retrouve Alyssa et Jamie dans un coin de la pièce. Ils ont l'air tout aussi épuisés que moi. Alyssa est encore plus livide que la dernière fois que je l'ai vue. Je ne suis pas sûre que vingt-quatre heures de sommeil suffiraient à recharger ses batteries. Mais ce n'est pas la seule chose qui m'inquiète. Son mentor est mort sous ses yeux. Et maintenant, la police pose des questions très spécifiques à propos de son implication. C'est comme si quelqu'un avait créé un Enfer spécifiquement conçu pour elle.

— Comment tu te sens ? demandé-je tout en posant délicatement ma main sur son bras. C'est probablement une question stupide, mais j'ai besoin de savoir.

— Je n'ai plus la moindre force, répond-elle avec honnêteté. Et je me sens coupable.

— Coupable ? Pour quoi ?

— Tout ça, c'est ma faute. Quand j'ai réalisé que Lockhart se faisait attaquer dans la pièce d'à côté, je n'ai rien fait. Je suis restée pétrifiée et j'ai choisi de me protéger. Comme une lâche. Si j'avais...

La voix d'Alyssa se brise au milieu de sa phrase. Mon instinct m'oblige à intervenir avant qu'elle n'aille plus loin.

— Non ! dis-je avec force. Je t'interdis de penser ça. Tu n'avais pas le choix. Si tu étais sortie pour l'aider, tu te serais fait tuer, toi aussi. Ça n'aurait pas changé ce qui est arrivé à Lockhart.

— Parks a raison, ajoute Jamie. Tu as fait tout ce que tu pouvais. La seule personne à blâmer, c'est celui ou celle qui tenait le pistolet. Tu es une survivante, Winters. Ne l'oublie jamais.

Alyssa reste silencieuse tandis qu'elle assimile nos propos. Elle comprend notre raisonnement, mais il lui faudra plus de temps pour l'accepter en tant que vérité. D'une petite voix, elle nous raconte son interrogatoire déroutant avec l'inspectrice Mendoza. Elle nous parle également du contenu du testament de Lockhart, et je peux voir à son expression que cette nouvelle n'a fait que renforcer son sentiment de culpabilité.

Soudain, Alyssa s'arrête de parler, les yeux fixés sur un point derrière nous. Je me retourne et je réalise vite qu'elle regarde Evan. Il est à l'autre bout du couloir, les mains dans les poches de son sweatshirt et le regard fuyant. Malgré ce qu'il a fait, je ne peux pas lui en vouloir. Pas après tout ce qui s'est passé ces deux derniers jours. Je sais à quel point l'instinct de protéger les personnes qu'on aime peut être puissant. Mais je peux aussi comprendre pourquoi Alyssa n'aurait pas les mêmes facilités à pardonner.

— Je ne suis pas encore prête à l'affronter, murmure Alyssa d'un ton blessé.

— Je vais aller lui parler, dit Jamie. On va probablement rentrer à l'appartement et essayer de dormir quelques heures.

Avant de nous quitter, Jamie tourne la tête vers moi. C'est à peine perceptible, mais je peux lire une question dans son regard. Est-ce que tu peux veiller sur elle ? 

Je hoche la tête sans la moindre hésitation.


Dès que nous passons la porte de son appartement, Alyssa se dirige vers sa chambre. Elle vit dans un petit deux pièces qui contient peu de cloisons. La salle de bain et la cuisine sont fermées, mais le salon et la chambre sont dans la continuité l'un de l'autre. La décoration est très minimaliste, comme si Alyssa venait tout juste d'emménager et qu'elle n'avait pas encore eu l'opportunité d'installer sa propre décoration. Seuls quelques bibelots trahissent sa présence entre ces quatre murs. Des objets qui correspondent probablement à des souvenirs qui lui tiennent à cœur.

La première fois où j'ai mis les pieds ici, j'étais quelque peu surprise. Maintenant, je trouve que ça reflète parfaitement sa personnalité. Méthodique et solitaire à première vue, mais si vous creusez un peu, vous pourrez découvrir les détails cachés qui font d'elle cette personne formidable.

Malgré mon manque de familiarité avec les lieux, je parviens à trouver de quoi préparer un thé bien chaud dans la cuisine. Une fois qu'il est prêt, j'apporte la tasse fumante à Alyssa. Je la trouve assise au bord de son lit, les paupières visiblement lourdes. Elle parvient tout de même à trouver la force de me remercier avec un léger sourire.

Après un long moment d'hésitation, je me décide à m'asseoir près d'elle. Nous laissons le silence s'installer entre nous sans qu'il ne devienne pesant pour autant. Je pense que ce calme est le bienvenu après la tempête que nous avons dû affronter. Je ne sais pas si serais capable de trouver les bons mots, de toute manière. Que pouvez-vous dire à quelqu'un qui vient de perdre un proche d'une manière aussi terrible ?

— L'inspectrice est persuadée que c'était moi, dit soudainement Alyssa. Si elle ne cherche que des éléments qui vont dans le sens de sa théorie, elle finira par trouver quelque chose. Elle trouvera le moyen de me faire porter le chapeau pour le meurtre.

— Je ne la laisserai pas faire ! rétorqué-je en me tournant vers elle. Enfin, on ne la laissera pas faire.

— Et si ça ne servait à rien de se battre ? Et si c'était sans espoir ?

— Il ne faut pas que tu penses comme ça, Alyssa.

— Pourquoi pas ? Regarde ce qui est arrivé à ta sœur et à Lockhart. Rachel essayait de se construire un avenir, d'obtenir un poste de cadre dans l'entreprise familiale. Et Lockhart voulait enfin réparer ses erreurs... Elles se sont donné tant de mal, mais c'était en vain. Elles ne sont plus là, maintenant.

J'essaye tant bien que mal de former une réponse, mais rien ne vient. Au fond, Alyssa n'a pas vraiment tort. L'univers n'a fait preuve d'aucune clémence. Mais rien ne sert de s'inquiéter pour ce qu'on ne peut pas changer. Il faut se concentrer sur ce qui est sous notre contrôle.

— J'imagine que tu as hâte de rentrer chez toi, reprend Alyssa avant que je ne puisse articuler cette pensée.

— Oh, je... dis-je, prise de court. Je peux rester, si tu veux.

— Je sais que tu t'inquiètes pour moi, mais ça va aller. Je t'assure.

— Je sais que ça ira. Tu es la personne la plus forte que je connaisse. Mais il faut que tu saches que tu n'es pas obligée d'affronter ça toute seule.

Alyssa ne dit rien durant plusieurs secondes, comme si elle cherchait à décortiquer la signification de mes mots. Je peux voir sur son visage qu'elle n'est pas habituée à ce que quelqu'un lui tende la main. Elle prend une grande inspiration, puis ses yeux viennent trouver les miens.

— D'accord, dit-elle d'une voix à peine plus forte qu'un murmure. Alors j'aimerais que tu restes.

Les assistantsWhere stories live. Discover now