Les assistants

Chapitre 1 : Alyssa

J'attends patiemment ma proie, telle une lionne tapie dans les hautes herbes. La grande horloge murale en face de moi indique qu'il est presque neuf heures pile. La cible devrait passer la porte du café d'une seconde à l'autre. Comme la majorité des gens, Scott est routinier. Chaque jour de la semaine, il vient commander un Caramel Macchiato de taille moyenne. Il flirte avec la barista qui n'est clairement pas intéressée par un homme ayant bien dépassé la quarantaine, puis il s'installe à une table pour répondre à des e-mails professionnels.

Certaines personnes sont difficiles à cerner, mais pas notre cher Scott. Il ne m'a fallu qu'une poignée de jours pour recenser les étapes de sa journée typique. Je suis presque déçue. Un défi à relever aurait été le bienvenu en ce moment. Mais comme le répète toujours Eloise Lockhart : il n'y a pas de petit boulot pour un détective, seulement des individus plus doués que d'autres pour couvrir leurs traces. Je devrais sûrement l'écouter étant donné que c'est elle qui me verse mon salaire tous les mois.

Une blonde en tablier s'approche de ma table, un pichet isotherme à la main. Elle propose de remplir à nouveau ma tasse, mais je décline son offre. Jamais plus de deux cafés lorsque je travaille, surtout avant d'approcher une cible, sinon je ne sais pas quoi faire du surplus d'énergie. Et étant donné la simplicité de la mission du jour, il y a de grandes chances que je passe le restant de la journée assise à mon bureau.

La trotteuse vient tout juste de dépasser le chiffre douze quand un homme brun à la silhouette longiligne entre dans le café. Il porte un costume et une cravate, comme à son habitude, et il fixe l'écran de son téléphone. Scott.

Nos regards se croisent quand il s'avance vers le comptoir. Les matins précédents, je m'étais installée en retrait, au fond de l'établissement, mais cette fois, je suis dans sa ligne de mire. L'espace d'un instant, il regarde ailleurs. Puis ses yeux se posent à nouveau sur moi. Il me sourit.

Il l'ignore encore, mais il vient de me servir la stratégie à adopter avec lui sur un plateau d'argent. Décidément, il ne veut pas me compliquer la tâche.

Je souris à mon tour. Scott commande encore la même boisson. Il dit quelque chose que je ne parviens pas à entendre à la barista. Son ton indique clairement une énième tentative de drague. Il n'a toujours pas l'air dérangé par l'embarras de la jeune fille. Je parie que Scott est un de ces hommes qui pensent que les femmes qui ne montrent pas d'intérêt pour eux cherchent uniquement à se faire désirer. J'irais bien la secourir de ce lourdaud, mais j'ai une couverture à maintenir pour le moment.

Je laisse à Scott le temps de s'installer à sa table et de répondre à deux e-mails avant de me lever pour le rejoindre. J'arbore mon air le plus innocent avant qu'il ne lève la tête dans ma direction.

— Ça va sûrement paraître un peu cavalier de ma part... dis-je en battant des cils. Mais, pourrais-je m'installer avec vous ?

Scott laisse la confusion l'envahir pendant environ une demi-seconde, puis il me fait signe de m'asseoir sur la chaise en face de lui.

— Que me vaut l'honneur d'une si charmante compagnie ? demande-t-il avec un sourire un coin.

— Je n'ai pas pu m'empêcher de vous remarquer quand vous êtes entré. Je n'ai pas l'habitude de faire cela, mais je m'en serais voulu pendant des jours si je n'étais pas venue vous demander votre numéro.

— Jolie, entreprenante et directe. Tout à fait mon type de femme. Je ne suis pas non plus habitué à faire ce genre de choses, mais...

À d'autres, Scott... À d'autres. Il attrape un stylo sur le comptoir derrière lui, puis il inscrit une série de chiffres sur l'une de ses serviettes en papier. Lorsqu'il la fait glisser vers moi, ses doigts effleurent les miens. S'il savait à quel point j'ai envie d'écraser sa main, il ôterait vite ce sourire satisfait de son visage. Il y a un autre moyen de faire disparaître ce rictus. Une fois que la serviette en papier est dans la poche de ma veste, je décide de passer aux choses sérieuses.