Éblouissante [gxg]

trente-trois

Anja s'était installée dans la voiture et avait immédiatement posé son coude sur la bordure de la fenêtre, se perdant dans l'étude du paysage. Elle n'avait pas daigné prononcer un seul mot ni même lancer un seul regard vers Leigh.

Pour tenter d'échapper au silence pesant, Leigh avait allumé la radio laborieusement, appuyant sur tous les boutons avant de trouver le bon. Elle avait trop peur de tout dérégler alors elle était restée sur la première station qu'elle avait trouvée. Pour une voiture si chère, l'interface n'était pas des plus intuitives.

Leigh tournait régulièrement un visage préoccupé vers Anja, cherchant désespérément quelque chose à dire qui l'inciterait à sortir de son mutisme. Elle savait que le silence était plutôt mauvais signe, chez Anja plus que chez n'importe qui d'autre.

La jeune femme tapotait son volant en rythme, mais lorsqu'elle se mit à fredonner en chœur, Anja se tourna finalement vers elle pour la fusiller du regard.

- Ne me regardez pas comme ça, j'adore cette chanson, se justifia-t-elle. Vous avez le droit de chanter avec moi si vous voulez, compléta-t-elle dans un sourire.

Le regard de la journaliste se fit encore plus noir, si tant est que ce soit possible, et elle se détourna pour reprendre son observation de la banlieue qui défilait derrière la vitre. Leigh soupira et baissa un peu le son avant de s'adresser à sa passagère.

- Vu qu'on va passer quelques heures ensemble dans cette voiture, on pourrait peut-être en profiter pour parler. D'abord d'où nous allons exactement et pourquoi, vu que je conduis ça pourrait être un bon début... Et si vous le souhaitez... de ce qui s'est passé, de ce qui se passe maintenant, puisqu'il est assez évident qu'il se passe quelque chose... De pourquoi vous êtes dans cet état.

Anja se tourna de nouveau vers Leigh, bouche ouverte, un air complètement outré sur le visage, et feignit de ne pas comprendre où la jeune femme voulait en venir.

- Vous osez me demander ce qui ne va pas ? Récapitulons. D'abord vous m'attendez devant chez moi à huit heures du matin comme une véritable psychopathe. Ensuite vous me subtilisez les clés de ma voiture et vous me kidnappez. Et vous vous imposez lors d'un voyage auquel vous n'étiez absolument pas invitée. C'est vrai ça, pourquoi donc ne suis-je pas de bonne humeur ?

- Techniquement je ne vous ai pas kidnappée, vous êtes montée dans cette voiture de votre plein gré et vous pouvez très bien en descendre quand vous le souhaitez.

- Oui bien sûr, parce que je n'ai que ça à faire, de visiter... Où est-ce qu'on est d'ailleurs ? Rungis ? Je n'ai que ça à faire de visiter Rungis alors que j'ai rendez-vous à 400 bornes d'ici dans très exactement huit heures et que mon avion décolle de Toulouse demain matin !

Leigh esquissa un sourire. Elle n'était absolument pas dupe des manœuvres de diversion de la journaliste, mais elle décida de ne pas insister.

- Quoi ? aboya Anja.

- En fait vous ne m'en voulez pas vraiment, vous êtes ravie que je fasse la route avec vous mais vous ne voulez pas me le dire, alors vous me hurlez dessus.

- C'est complètement absurde.

- Je le sais parce que vous êtes sarcastique. Quand la situation est vraiment grave vous n'êtes pas sarcastique, vous parlez d'un air sombre et vous vous refermez comme une huître.

- Je vous remercie pour la comparaison avec un mollusque hideux, vous savez vous montrer agréable dès le matin vous...

- Vous voyez ? s'exclama Leigh dans un plus large sourire. Sarcasme. Donc dans le fond, ça va.