Éblouissante [gxg]

cinquante-cinq - épilogue

*Trois ans plus tard*

Les derniers pas d'Anja dans la cour de la prison résonnèrent différemment. Elle serrait fermement contre elle la pochette cartonnée qui contenait, entre autres, son billet de sortie tamponné par l'administration pénitentiaire. L'air frais de cette matinée de printemps soulevait ses cheveux roux, et si le décor avait été un peu moins carcéral, elle aurait juré interrompre le tournage d'une pub pour un nouveau parfum.

Deux ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis. A la réflexion, elle se sentait presque plus sereine que si elle avait été complètement exemptée de peine. Ces six mois passés derrière les barreaux lui donnaient l'impression d'avoir enfin payé son dû à la société, d'autant qu'elle avait aussi apporté son aide tout au long de l'enquête, et témoigné à plusieurs occasions au cours du procès-fleuve. Elle avait enfin le sentiment du devoir accompli, accompagné de celui de pouvoir repartir à zéro.

Anja entra dans le bâtiment qui faisait office de dernier rempart entre elle et la liberté pour récupérer ses affaires et signer la paperasse restante. Et puis, presque trop vite pour qu'elle réalise complètement, elle se retrouva dehors.

Une demi-douzaine de journalistes people arrêtèrent de faire les cent pas dans la rue et se précipitèrent vers elle, micros en avant. Anja ne put s'empêcher de sourire.

"Madame Marenger, quelle est la première chose que vous allez faire maintenant que vous êtes sortie ?

- Rentrer chez moi, tout simplement.

- Allez-vous reprendre votre travail de présentatrice ?

- Cela dépendra de mes envies et de ce qu'on me proposera.

- Allez-vous rejoindre les parties civiles constituées dans les procès liés aux Tigres de Belgrade ?

- Probablement pas. Après tout, elles n'ont pas besoin de moi. Merci, conclut Anja en tendant le bras pour mettre de la distance avec les perches des journalistes.

Elle s'éloigna et traversa la rue en souriant à Leigh, qui l'attendait adossée à la Mercedes sur le trottoir d'en face.

- Tu sais ce que je pense de ta façon de malmener la carrosserie de ma voiture, l'interpella Anja à quelques mètres de là.

- J'ai veillé sur elle durant ces six derniers mois, j'en suis un tout petit peu propriétaire non ?

- Je ne crois pas, non. Vous devriez réviser votre droit, jeune fille.

Leigh sourit, et Anja jeta un oeil aux journalistes qui les observaient.

- J'avais imaginé ça autrement, murmura-t-elle dans un sourire. On devrait y aller.

Leigh se redressa et ouvrit la portière conducteur, tandis qu'Anja contournait l'habitacle pour s'installer côté passager.

Leigh mit le contact et démarra, prenant rapidement de la vitesse dès qu'elle se trouva sur une grande artère.

La main droite de Leigh quitta le pommeau du levier de vitesse pour se poser sur la jambe de la journaliste. Anja ouvrit la boîte à gants et en sortit un paquet de cigarette qui traînait là depuis bien avant son incarcération. Elle alluma une cigarette, soufflant la fumée par la fenêtre ouverte. Elle laissait les bourrasques battre son visage, yeux fermés. Anja interrogea Leigh sans rouvrir les yeux :

- A quel chapitre de ma vie j'en suis, selon toi ?

Leigh fronça les sourcils en souriant.

- C'est une étrange question. Tu peux développer ?

-Depuis ma première nuit en prison, je ne cesse de penser à ce jour. Pendant six mois je me suis dit chaque soir "ce sera le premier jour du renouveau". Mais j'ai répété ça si souvent auparavant, à des moments où j'ai loupé mon nouveau départ et où j'ai répété les mêmes erreurs, que je ne suis pas certaine que ça ait encore un sens.

Leigh acquiesça lentement et prit le temps de la réflexion.

- Alors voyons, il y a eu le chapitre un : ton enfance. Chapitre deux, je crois qu'on peut simplement faire un euphémisme et l'appeler Belgrade, rit la jeune femme. Et puis le chapitre trois : Paris et Anja Marenger. Si mes calculs sont bons, tu en es au chapitre quatre. C'est raisonnable selon moi, en tant que chat tu aurais encore une marge confortable de cinq vies.

Leigh retrouva son sérieux et poursuivit :

- Ce n'est absolument pas le même nouveau départ que les fois précédentes. Elles étaient toutes des fuites vers l'avant, tu fuyais désespérément ton passé. Depuis tu as appris à l'accepter comme une part de qui tu es aujourd'hui. Tu ne le refoules plus, il est là et tu vis avec lui. C'est un énorme changement, et c'est ce qui donne tant de sens à ton renouveau. Moi je le vois, je te promets.

Anja posa sa main par-dessus celle de la jeune femme et sourit.

- Ayez toujours une Leigh dans votre vie. Okay, reprit-elle pour couper court au trop solennel qui finissait toujours par la mettre mal-à-l'aise.

- Tu n'as pas répondu sincèrement au journaliste tout à l'heure... Celui qui te demandait ce que tu comptais faire.

- Bien sûr que si. Je rêve de m'asseoir dans mon canapé, dans mon appartement, tu n'imagines même pas.

- Sa question portait sur le long terme, et je sais que tu l'as très bien compris, ne fais pas l'innocente.

Anja réprima un sourire et tira sur sa cigarette.

- Peut-être... souffla-t-elle d'un air espiègle.

- Je me doute que tu y as réfléchi, tu peux me le dire tu sais. Promis, je ne me moquerai pas, même si c'est un truc ridicule du style tricoter des pulls pour chèvres...

- Tu me vois vraiment tricoter des pulls pour chèvres ? Sérieusement ?

Leigh éclata de rire devant l'air outré de sa compagne.

- Ne fais pas cette tête. Il paraît que la prison, ça change les gens tu sais, la taquina-t-elle en réponse.

Anja leva les yeux au ciel sans rien perdre de son sourire.

- Pour tout te dire, j'y ai effectivement réfléchi. Et mon projet majeur sera probablement le titre de ce fameux chapitre quatre dont tu parlais...

Et sur le ton de l'évidence, Anja se décida à mettre fin au suspense :

- Leigh.

FIN

(psst, ne pars pas, il y a les remerciements + sondage dans la partie suivante 👀)