vingt-trois

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Leigh dévala les quelques marches du perron et s'engagea d'un pas décidé dans l'allée gravillonnée.

La prison dorée du mariage avec Thomas dont lui avait parlé Anja, Leigh la voyait dorénavant. Elle la distinguait si clairement qu'elle aurait pu en désigner les barreaux un par un et y graver chaque mot, chaque nom qui la retenait en arrière, qui l'étranglait dès qu'elle faisait un pas de côté. Cette chaîne qui la tenait était son propre enfer, sa propre punition, et elle en avait forgé elle-même chaque maillon.

Au milieu de tous ses gens elle s'était toujours sentie glacée alors qu'ils n'étaient que chaleur superficielle. Elle se sentait comme l'unique produit dépareillé du rayon, celui dont finalement on ne veut plus et qu'on laisse n'importe où car on ne sait plus où on l'a prit. Oui c'était exactement ça, elle était le sachet d'épinards surgelés abandonné parmi les assiettes en carton et les bougies d'anniversaire. La comparaison la fit sourire doucement.

- Leigh !

La voix grave qui l'interpelait la figea et la glaça de l'intérieur. Elle n'était qu'à 30 mètres de la maison, elle ne pourrait jamais prétendre n'avoir pas entendu, d'autant que Bertrand Chesnay avait suffisamment haussé le ton pour être perçu par tout le quartier.

Leigh finit par se retourner lentement et comprit lorsque son interlocuteur resta en haut du perron qu'elle allait devoir faire demi-tour.

- Bertrand, je vous apprécie beaucoup en temps normal, mais là vous êtes pénible, murmura-t-elle dans un souffle.

Elle rebroussa chemin d'un pas bien moins décidé qu'à l'aller, prête à recevoir les potentielles remontrances de son beau-père pour avoir fui comme une lâche.

Lorsqu'elle fut assez proche du manoir pour être éclairée par la lumière qui émanait des fenêtres, Bertrand s'assit sur les marches avec difficultés, lui faisant signe de s'installer à côté de lui. Leigh s'exécuta sans discuter, plutôt étonnée du sourire bienveillant qu'il lui adressa de nouveau.

- Où est-ce que vous alliez donc comme ça ? demanda-t-il doucement.

- Oh, eh bien... Je faisais un petit tour, pour me dégourdir les jambes vous savez. Prendre l'air quoi.

Bertrand eut un petit rire.

- On ne me la fait pas à moi, jeune fille, votre performance d'actrice est plutôt médiocre... Mais si c'est ce que vous souhaitez, ça restera notre version officielle.

Leigh hocha la tête avec reconnaissance.

- On ne vous a pas beaucoup vue ce soir, reprit-il. Habituellement je vous aurais demandé si tout allait bien, mais à la lumière de votre tentative de fuite il est évident que ce n'est pas le cas... Vous voulez en parler ?

- Tout va bien, vraiment, je voulais juste prendre le frais et respirer un peu. Je ne me sens jamais très à l'aise parmi la foule mais ça va aller, je vais rentrer.

- Ne vous y sentez pas obligée, ce n'était ni un reproche ni une demande déguisée. Vous pouvez rester ici autant que vous le souhaitez. Vous pouvez même rentrer chez vous si c'est vraiment ce que vous voulez.

Elle ignorait ce qu'elle voulait vraiment, alors Leigh ne répondit rien et regarda son futur beau-père. Elle n'avait jamais eu de présence paternelle à ses côtés, mais si elle avait pu choisir un père, elle aurait aimé qu'il ressemble à Bertrand Chesnay.

Bien sûr elle savait par Thomas qu'il avait été un père peu présent, bourreau de travail passant des heures indues dans un building de La Défense, mais il avait fait en sorte de passer le peu de temps qu'il pouvait à créer de bons moments avec ses enfants. Peu présent, mais toujours intéressé par sa progéniture, compréhensif et aimant.

Éblouissante [gxg]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant