cinquante-deux (1)

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Lorsque Leigh rejoignit Anja dans le parc, elle avait pris sa décision et ne lui laissa pas le temps de dire quoi que ce soit tant elle se sentait pleine d'énergie et d'optimisme.

- Anja, je suis ravie de vous voir. J'ai bien réfléchi, et il est hors de question que je vous laisse seule encore une fois. Je vais me battre à vos côtés, le temps qu'il faudra. Vous avez juste à me dire ce que je dois faire, et je serai là.

Anja eut un sourire triste, et lorsque Leigh s'en rendit compte, l'air allègre de la jeune femme s'envola comme il était venu.

- C'est fini Leigh, souffla Anja. C'est fini.

La jeune femme regarda la journaliste sans comprendre.

- Comment ça, c'est fini ?

- Les flics sont en route, je me suis rendue.

- Vous avez fait quoi ?! s'égosilla Leigh. Ce n'était absolument pas ça le plan !

- Il n'y a jamais eu de plan.

Leigh fronça les sourcils, et Anja lui adressa un sourire contrit.

- Je ne sais même pas si le carnet vaut quoi que ce soit d'un point de vue légal. C'est ma dernière carte en main, et je n'ai plus rien dans les manches. Alors je vais l'abattre, au bluff, et voir ce que ça donne.

- Mais... Vous l'avez traduit... Nous l'avons traduit ensemble... C'était ça le plan !

- Vous savez aussi bien que moi qu'une seule preuve ne vaut pas grand chose. Il n'y avait pas de plan. C'était une façon pour moi de vous maintenir occupée, pour que vous ne vous torturiez pas trop l'esprit à vous demander ce que j'allais devenir.

Leigh grimaça et sentit les larmes lui monter aux yeux. Elle s'entendit supplier la journaliste :

- Dites-moi qu'à nouveau vous mentez pour m'éloigner. Dites-moi que vous ne vous êtes pas rendue avec rien que votre parole, au bluff. Je vous en prie, dites-moi que vous essayez encore de me protéger.

- Je n'ai plus aucun moyen de vous protéger, Leigh. C'est fini, je n'ai plus aucun pouvoir. Je ne suis plus personne.

- C'est faux, défendit Leigh en prenant la main de la journaliste. Vous êtes Anja Marenger.

- Anja Marenger n'a jamais été qu'un leurre. Un fantôme, un homme de paille, un nom de plume. Un sursis. Mais j'en ai plus qu'assez de fuir. Je voulais simplement vous faire venir pour vous remercier.

- Me remercier ? Mais de quoi ?

- D'être vous, tout simplement. D'avoir rendu ma vie plus ensoleillée qu'elle ne l'a jamais été par votre simple présence. D'être revenue chaque fois, même quand j'avais été la pire des garces. De m'avoir fait danser sans musique et en pleine nuit, de m'avoir kidnappée dans ma propre voiture, d'avoir tout lâché pour décoder avec moi un registre de la mafia serbe, et tous ces autres trucs étranges qui ne seraient venus à l'idée de personne d'autre et qui font que vous êtes vous.

- Non, je vous l'interdis, répliqua Leigh avec véhémence en essuyant une larme qui coulait au coin de son oeil.

- Quoi donc ?

- Je vous interdis de me faire vos adieux.

- Nous avons vécu de nombreuses séparations et je n'ai jamais eu l'occasion de faire ça bien, autorisez-moi au moins un essai réussi...

- Non, vous n'avez pas le droit. Vous avez pris votre décision toute seule, sans consulter personne, même les gens pour qui vous comptez. Alors moi je refuse vos adieux.

Anja eut un petit rire.

- Leigh, je vous en prie. Ne compliquez pas les choses...

- Parce que c'est moi qui complique les choses ?

Leigh n'essuyait même plus les larmes qui roulaient, ayant abandonné l'idée de se sortir dignement de cette conversation.

- J'en ai assez de me cacher, expliqua Anja d'une voix douce. Je veux raconter la vérité, dire qui je suis, ce que j'ai vécu. Pour que le monde sache ce qu'il se passe réellement derrière le rideau. Et en ce qui vous concerne... je vous dois la liberté.

- La liberté ? Vous vous foutez de moi ?

- La liberté de continuer votre vie comme vous l'entendez, sans que je ne vienne plus contrecarrer vos plans.

- Bordel de merde, Anja... Vous m'avez voulue, vous m'avez eue, deux fois même, alors maintenant vous devez vous démerder avec moi. Je suis là et je reste, je m'en fous. Qu'est-ce que vous pensez ? Que vous allez vous faire arrêter, et que là, je vais reprendre ma vie comme avant ?

- Je l'espère du moins.

Leigh grimaça, sembla se battre un instant avec elle-même avant d'abdiquer.

- Merde. Tu fais vraiment chier.

Anja eut un petit rire interloqué.

- Anja, bon sang ! C'est toi ma vie ! Il ne reste strictement rien de ce que j'étais avant, et ça m'est complètement égal. Je ne regrette même pas, pas une seconde. Tout ça n'existe plus. Ce n'est plus que toi, que nous !

- Leigh...

L'intéressée ne lui laissa pas l'occasion de l'interrompre.

- Je t'ai aimée dès le premier soir, probablement pour de mauvaises raisons. Mais ensuite j'ai appris à t'aimer pour les bonnes. Non mais rends-toi compte, j'étais presque mariée à un homme, puis j'ai cru que tu t'étais foutue de ma gueule et je t'en ai voulu à mort... Tu avais une enquête d'Europol sur le dos, tu es partie à Belgrade... Et puis tu as failli mourir. Et pourtant nous sommes toujours là ! hurla Leigh en levant les bras au ciel. Bordel de merde, Anja, nous sommes toujours là !

Et lorsque Leigh baissa les bras et reporta son regard sur Anja, celle-ci pleurait.

Leigh attira la femme contre elle et la serra de toutes ses forces, comme si cela pouvait calmer ses sanglots. Ses propres larmes tombaient dans la chevelure rousse de la journaliste.

- Il faut que tu t'en ailles, murmura Anja.

- Je sais, répondit laconiquement Leigh sans pour autant lâcher la journaliste.

- Je ne plaisante pas, insista Anja quelques secondes plus tard. S'ils t'arrêtent avec moi tu risques d'avoir de gros ennuis, plus que tu n'en risques déjà je veux dire, et c'est tout ce que je souhaite éviter.

Leigh acquiesça en silence et laissa Anja se détacher délicatement, puis faire un pas en arrière.

- Allez, file. C'est loin d'être la première fois qu'on fait ça, sourit Anja à travers ses larmes.

- C'est vrai. Et puis tu sais ce que je dis toujours. Ce n'est pas un adieu, c'est un "à bientôt".

Anja acquiesça, et Leigh se décida finalement à s'éloigner. Alors qu'elle était à une trentaine de mètres, trois voitures de police passèrent au ralenti avant de faire demi-tour au bout de la rue. Le regard d'Anja croisa alors celui de Leigh. Elles savaient toutes deux ce que cela signifiait.

C'était leur "à bientôt".

Éblouissante [gxg]Where stories live. Discover now