quarante-neuf (2)

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Leigh ne sut pas comment réagir et grimaça d'incompréhension.

- Bertrand Chesnay ? Mon Bertrand Chesnay ? Enfin je veux dire, notre Bertrand Chesnay ?

Anja éclata de rire.

- Vous en connaissez un autre ?

Leigh passa ses mains sur son visage, yeux écarquillés.

- Merde...

- Je me doutais que ça vous ferait un choc.

- Ce n'est même plus un choc à ce stade... J'hallucine.

Leigh tira une chaise vers elle et s'y laissa tomber.

- Okay, maintenant que vous avez attisé ma curiosité comme ça, vous avez intérêt à me raconter la suite.

Anja étouffa un petit rire.

- Bon, où en étais-je.

- On vous a présenté Bertrand Chesnay, dont vous ne saviez rien.

- Ah oui, exact, merci. Donc je rencontre ce businessman français, on se serre la main, et immédiatement il me prend par le bras et m'entraîne vers un taxi qui nous attend. Je ne me souviens pas des termes exacts, mais ce que je peux vous dire, c'est que je suis montée dans ce taxi extrêmement inquiète et que j'en suis redescendue vraiment rassurée. Bertrand s'est toujours montré réellement bienveillant à mon égard, lors de notre première rencontre il n'avait même pas été choqué lorsque je lui avais dit me sentir parfois plus sauvage que civilisée. Pendant un an, il est revenu toutes les six à huit semaines pour les affaires. J'avais très vite compris quel rôle je devais jouer. Je l'emmenais là où j'estimais que le lieu méritait le détour, et je l'accompagnais lorsqu'une présence féminine pouvait être bénéfique pour le commerce, et chaque soir il me ramenait devant ma barre d'immeubles en banlieue de Belgrade. J'avais honte de cette différence flagrante de milieu social. Par fierté je refusais à chaque fois tout ce qu'il pouvait vouloir m'offrir, ni vêtements, ni restaurants, néanmoins il tenait toujours à me payer généreusement pour l'interprétariat à la fin de chacun de ses séjours. Au fur et à mesure, je me suis surprise à attendre avec de plus en plus d'impatience notre prochaine rencontre. J'appréciais sincèrement sa compagnie, il n'avait rien à voir avec les hommes que j'avais côtoyés depuis ma naissance. Les quelques jours que je passais avec lui ressemblaient à la vie dont je n'aurais même pas osé rêver. En parallèle Zulaj n'était pas un homme facile à vivre au quotidien. Lunatique, quelquefois violent, dans ses mauvais jours il me rappelait un peu mon père.

Anja se leva de sa chaise et fit quelques pas dans la pièce pour se dégourdir les jambes avant de se rasseoir.

- Et puis un soir où je rentrais d'avec Bertrand, Zulaj s'est mis dans une colère noire. M'a traitée de tous les noms, m'accusant de l'avoir trompé avec "le français". Il m'a jeté à la figure les bouteilles de bières vidées en m'attendant. J'ai nié, je me suis défendue. Je n'avais jamais franchi aucune ligne, j'étais dans mon bon droit, je n'avais rien fait de mal. Zulaj n'a rien voulu entendre et m'a jetée dehors. J'avais dix-sept ans. J'ai passé la nuit à pleurer sur le perron de notre barre d'immeubles, je n'avais rien à part les vêtements que je portais la veille. Comme prévu, Bertrand est passé me chercher le lendemain matin et m'a trouvée comme ça. Alors il a saisi l'occasion et m'a avoué qu'il m'aimait, depuis notre première rencontre. J'ai répondu que j'étais une femme mariée. Que Zulaj était en colère mais que c'était courant et que ça lui passerait. Alors il a objecté que mon mari n'était rien d'autre qu'un petit bandit sans envergure et que je serai malheureuse si je restais avec lui. Qu'il connaissait ce genre de types, qu'ils finissaient tous par battre leur femme ou par dormir en prison. Honnêtement, je crois que Bertrand avait raison à ce sujet à l'époque. Lui disait vouloir m'emmener en France et démarrer une nouvelle vie.

Éblouissante [gxg]Where stories live. Discover now